Ne vous méprenez pas, jeune naïf : ce pont là n'a, pas bien plus que les autres, ressenti la caresses des jupons et dentelles. Cela grouille, cela vit ! Tandis que là-haut, une jeune femme à la vue encore jeune scrute l'horizon, guettant terres et navires, on court de tous côtés, nettoyant le navire, nourrissant le bois qui craquèle, réparant les avaries, et cela sous les cris de l'Egyptienne, dont la voix chantante est portée par les airs ... Ainsi, le bateau couleur de vent poursuit-il sa course, rapide et discret, suivant de loin les lents navires sur les routes de marchandise ... Et conquiert au fil de l'épée sa réputation grandissante.

Petit cocon de femme, drapé de lumières chaudes, et qui n'apparaît toujours qu'à la lueur d'une unique lanterne. Il est dangereux d'éclairer cette pièce, tendue de couleurs vives, habillée d'étoffes douceâtres et peu précieuses, où les draps défaits tombent de sa couche sans ordre et sans art ... Aussi l'endroit est-il souvent baigné de la mince lueur du jour, perçant timidement une lucarne sombre - ou de cette lanterne solitaire que Thétis surveille d'un œil toujours inquiet. Dans ce minuscule espace, elle a déposé de menus objets de verre, de bois et de fer, masques brisés et autres abolis bibelots d'inanité sonore ... C'est comme un nid d'oiseau creusé loin des airs. Et elle y rêve, Thétis, loin de l'autorité de l'Egyptienne, elle y rêve un instant, avant de courir sur le pont, pour commander à ses pareilles.

Le dortoir du Hell's Ship est un bien étrange endroit. Les hamacs blancs, draps simples suspendus, forment comme une nuée au-dessus du sol, mais les femmes de l'équipage ont, loin des regards sévères du capitaine, orné de couleurs et d'insignes, d'abord timides, l'entour de leurs couches. Alors, entre les draps clairs - plus propres sans doute qu'ils ne l'auraient été ailleurs - paraissent petites touches de lueurs douces, déposées comme à l'aquarelle ... Et puis au fond, comme une sourde promesse ou une tentation dangereuse, distillant l'odeur des bêtes et des condiments, une petite porte de bois. Elle mène à la cale.

Dans un fond d'eau dormante sont déposées provisions et réserves. Eau, alcool, vivres divers ... La petite porte fait un boucan du diable, mais qui aurait l'idée de la huiler ? Le bruit grinçant réveillerait les morts - et les épuisés par la mer, et tous les yeux se tournent, aussitôt, vers la malheureuse qui viendrait outrepasser ses droits. Gare à la sévérité du capitaine pour celles qui ne suivraient pas les ordres de rationnement quand il y en a.