Le fier navire que voilà a en effet essuyé bien des grains. Résistant, malgré sa légèreté et sa vitesse impressionnante, c'est un bâtiment à faire pâlir d'envie un vieux loup de mer retraité. Son capitaine, un brin maniaque, fait en sorte qu'il soit toujours reluisant et en bon état. Ce navire est l'une des plus grandes fiertés de son équipage, que le capitaine dirige d'une main de fer malgré ses apparences parfois compatissantes... Il s'agit de montrer qu'elle ne se laissera pas marcher sur les pieds ! Ah oui, parce que j'ai oublié de te dire, matelot. Leur capitaine, là, c'est une femme.

Le grand bâtiment élève ses voiles qui claquent - et il dirait que c'est le chant des jupons de femmes agités par le vent. A la proue du navire trône une Néréide s'offrant à la mer, suspendue entre deux eaux ... Vous voilà devant l'Amphitrite : c'est le fier navire de l'homme raffiné que l'on appelle ici Louis de Nogaret. Faux duc - à moins que ce ne soit comte ... ? - et Français aux bonnes manières calculées, ce pirate non moins féroce que les autres saura vous accueillir... Si vous êtes un homme, bien sûr. Les femmes sont réservées à ses soirées privées.

Les ombres infernales sont discrètes et rapides. Le Hell's Ship est ainsi : plus léger, taillé pour la vitesse et l'effet de surprise, il est réputé pour se fondre dans les brumes et les vapeurs ... Ses voiles toutes déployées ont la couleur des nuages avant la tempête, son corps a les formes anguleuses et dures de ces oiseaux destinés au vol au long cours ... Le Hell's Ship est comme eux, d'une beauté utilitaire, sans charmes annexes ni fioritures. Sur la poupe on a peint son nom d'un geste rageur, recouvrant d'anciennes lettres plus sages dont on devine encore la trace, avec des yeux aguerris. Et c'est sur ce fier navire que la terrible Mary Bell construit sa légende, aujourd'hui encore.

Personne ne pensait qu’il naviguait encore … ! On disait même que le Bloody Revenge dormait à présent, sous les récifs et les vagues, hanté par les créatures de l’eau et oublié des hommes … Et un soir, voilà que se profilent à l’horizon ses hautes voiles noires, et son pavillon fantôme … ! Il semble étrange, maintenant, ce navire, à côté des brigantins fringants et des belles frégates. Le Bloody Revenge a pris de l’âge et, lourd et terne, il vogue lentement comme font les vieux souvenirs. Et comme eux, si vous percevez son ombre sur vos pas, courrez sans regarder en arrière ou il pourrait vous sauter à la gorge … Les matelots qui s’y trouvent ont fort à faire pour manier la bête, qui promène maintenant ses larges flancs aux abords des navires, dardant sur vous l’œil vide et creux des canons alignés … Et le navire noir, aux spectrales légendes, sillonne les mers, poussé par les vents. Comme un antique et terrible conte.