On n'y reste pas longtemps. Parfois, il y a quelques minutes d'attente, quand un bateau vient d'arriver au port et qu'en sont descendus une trentaine de marins retenus loin des terres depuis des semaines. On paye son dû avant de monter, c'est la politique de la maison – alors parfois il y a des coups qui se perdent.

Les deux étages se ressemblent : un couloir sur lequel donne une série de portes. Il y a un va-et-vient incessant de filles et de clients, dans ce demi-silence qui ne trompe personne.

L'ameublement est souvent sommaire : quelques chandelles et un couche sans draps quand elle sert aux clients. Les filles qui vivent là, avec leurs jupons mal rabattus et leurs corsets délassés, ne possèdent presque rien, mais tiennent à ce que les lieux restent en bon état – on leur ferait payer le moindre dégât. Quand la fille est jolie ou bénéficie d'une certaine notoriété, quand c'est une vierge ou quand on reçoit un client de marque, on se rend dans la seule chambre qui peut se piquer d'un peu de luxe, au bout du couloir : quelques tapis, table et chaises, literies et tentures.

Au milieu de la pièce est dressée une grande table où l'on prépare et mange la nourriture assez fade de la maison. Les repas sont pris en commun, entre les heures dites, aucune fille n'est admise à la cuisine.

C'est là que se règle la vie de la maison, que se fixe les tarifs, que se décident qui occupera quelle chambre et pour combien de temps. La tenancière n'idéalise pas son métier, pas plus qu'elle ne le diabolise – c'est un métier quoi. C'est une femme qui connaît le métier, et qui ne se laisse pas marcher sur les pieds. Elle accepte fort bien d'être détestée des filles et des clients, tant qu'on la craint et qu'on la paie.