Cap à l'Ouest !
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 - Avertissement - Masques et Bergamasques. [PV]

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Louis de Nogaret

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Louis de Nogaret

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MessageSujet: - Avertissement - Masques et Bergamasques. [PV]   - Avertissement - Masques et Bergamasques. [PV] EmptySam 23 Oct - 0:07

[Évocation d'une charogne. A lire en connaissance de cause, donc.]


    Nogaret sortait ce soir-là d’une de ces maisons à lanterne rouge, où vous disparaissiez derrière des portes peintes – avec toute la nonchalance des mauvaises habitudes. Entre les poutres vermoulues, dans la vague odeur de pourriture et de vice, il avait cherché dans l’étreinte d’une femme vénale les quelques gouttes de cette liqueur volatile – l’amour, en son seul sens admis - qui, en lieu et place des alcools de la taverne, lui donnerait l’ivresse sale et triste qu’il recherchait sans doute. Une inconnue, qui ne verrait point la déchirure de son regard, les marques sur son corps, les blessures d’hypocrisie, une jeune femme vêtue encore du voile de ses illusions qui détournerait les yeux, avec pudeur et crainte, devant ce qu’elle méconnaissait encore, et qu’il convenait de faire plier, doucement, insidieusement … Avec toute la nonchalance des mauvaises habitudes.

    Il sortait donc, prêt à se perdre, comme la veille ou l’avant-veille, l’esprit bourdonnant encore des folies qui avaient secoué l’île de la Tortue tout le jour – et l’ombre d’une potence branlante surplombant toujours les basses toitures de la ville … Il errait déjà, de par les rues, traînant dans son esprit quelques souvenirs du jour, à enterrer parmi les autres … Et puis ! Il sentit un souffle de vent, s’arrêta. Peut-être fallait-il cette victime expiatoire, fictive ou non, pour raviver les faveurs de la Fortune, qui sait … ? Il sourit alors, Nogaret, et c’est d’un pas plus léger qu’il emprunta les ruelles – terres battues de bonnes intentions – cherchant dans le quotidien vague quelque indice lui murmurant que … Oui, que la vie reprenait son cours. Il chercha aux abords des tavernes une ombre passante, quelque chose qui eût ressemblé à un chant d’adieu, ou un accent nouveau dans les conversations de coin de table. Il glissa un mot et une pièce au vieillard à la vue déclinante faisant office de crieur public – si le lendemain, les vents étaient toujours favorables, on partirait … Et quoi qu’il advienne, les choses seraient alors plus simples …

    Mais pour l’heure, il reprit sa marche, devenu pour un soir sorte de vagabond inexorable – avec ses idées mornes à remettre en route, ordres bien huilés et manières à retrouver. Oh demain, ce serait du grand Louis de Nogaret, avec sa superbe et son petit orgueil froid, avec toute la nonchalance des ... Et puis il se retrouva, mené par ses pas, aveugle et pressé, aux abords des rues noires qu’il évitait d’habitude. Nogaret n’était pas de ceux qui se riaient des vieilles superstitions et, sans en faire montre, il détournait ses pas de la rue aux cadavres, de la Maison Errante – parce que vos peurs sont toujours dangereuses, dans le sens où elles vous révèlent … Pourtant ce soir-là, il y eut quelque chose, une brusque fantaisie, un élan soudain qui l’y poussa, comme malgré lui. Il s’engouffra comme suivant un chemin familier, une sente commune, et puis il se trouva à deux pas de la maison branlante, dans le calme douloureux des endroits d’exil. Là plus qu’ailleurs peut-être, on sentait une oppression étrange – comme une odeur de pourriture dans l’air ambiant, qu’on ne remarquait pas alentours mais qui, dans la solitude et le silence, s’épanouissait en un instant, toujours ignorée, soudain intolérable … Pour se donner contenance et sans savoir ce qu’il faisait, il s’approcha de la Maison Errante comme pour voir s’il y avait encore quelque lumière à trembloter aux fenêtres … Mais quelque chose, plus loin, attira son regard, et il fit volte-face. Là-bas, nimbée dans l’ombre, au détour d’un sentier, sur un lit semé de cailloux … Il s’en approcha, laissant son sourire déchiqueté par la vermine, sa folie passagère piétinée par un souvenir … Pour la voir.

    On l’avait jetée là dans le désordre de ses robes – une main recroquevillée sur elle-même, comme une serre d’oiseau. Et c’était, dans la beauté tapageuse du costume, quelque pauvre corps en demi-teinte. La joue creusée, l’œil mort, elle gisait là, indécente et laide, présentant aux passants le pauvre spectacle d’une charogne que l’on aurait parée pour le bal. Chaînes et cordelettes nues courant le long de sa gorge ouverte – quelques mauvais plaisants lui ayant arraché les pierres et les dentelles non encore souillées par la mort, pour les revendre au plus offrant - elle était demeurée là, avec sa petite figure souillée et grotesque … Et Nogaret la regarda, dormant à ses pieds, exhalant ses soupirs, sans émotion d’abord – parce que c’était le genre de spectacle qu’il avait connus sinon causés. Et puis, derrière les traits émoussés, les formes qui se décomposent, sous la robe rougeâtre et le corset taché, il reconnut, peut-être … Se dit tout haut, comme à lui-même – un étrange accent de mélancolie, qui voudrait s’ignorer :

    - C’est dommage : tout indique qu’elle dut être jolie.

    Et disant, il avisa un jeune homme, non loin de la gisante, un inconnu qui était resté là, immobile et silencieux, recroquevillé sur lui-même comme un enfant perdu. Dans l’obscurité, tout à son souvenir, il ne reconnut pas, Nogaret, quelqu’un qu’il eût dû mieux voir. Et dans la Rue aux Corbeaux, il héla le garçon, mais se trompa de nom d’oiseau :

    - Hé, gamin ! Une pistole si tu vas dans la vieille église, et que tu allumes un cierge pour cette pauvre fille que personne n’doit pleurer.

    Tintement de pièces entre ses doigts. Et sans mesurer sa méprise, il répéta, les yeux rivés au sol, attachés aux chairs en déréliction :

    - On devine encore … Il ne me semble pas l’avoir connue. Quand je dis que c'est dommage.

    Il y avait le dessin des hanches, qu’on devinait encore sous les armatures du jupon, les lignes du corset qui ne soulignant plus rien, évoquaient les rondeurs tendres de ce type de femme – les cheveux noirs en cascades écroulées, beaux encore et couronnant un visage qui … Oh, il finit sans doute par ressentir un pincement, quelque part, de ces douleurs nerveuses qu’on se reproche bien vite. Parce que nimbée de rouge, dans les vapeurs insidieuses portées par les vents renaissants, elle figura assez bien, pauvre chose, ces illusions dernières qu’il avait fallu laisser pourrir, dans le sillage de l’Amphitrite … Et pendant un instant il ne sut, faiblesse honteuse, repousser cette impression comme il eût du : avec toute la nonchalance des mauvaises habitudes.
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Crow

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MessageSujet: Re: - Avertissement - Masques et Bergamasques. [PV]   - Avertissement - Masques et Bergamasques. [PV] EmptySam 23 Oct - 13:04

Je danse avec l'amour
Je danse avec la mort
Et je crie à la nuit
S'il te plaît, reviens-moi

Saez


    Depuis combien de temps est-il là ? Il l'ignore.
    Les fins de journées à l'île de la Tortue ont l'étrange pouvoir de faire s'écouler les minutes différemment, comme des fils étirés à l'infini. La moiteur qui imbibe l'air humidifie l'âme et le corps, et une mélancolique amnésie vous coupe de tout. Il n'y a que le soleil, rougissant à l'horizon. Et béat, admirant le plus beau meurtre, celui qu'on commet chaque jour, pour laisser place à la glaciale lune, vous vous perdez un peu, enivré par ce superbe assassinat, et devenez cet astre mutilé qu'on saigne aux yeux de tous. Oui les fins de journées ont toujours eu quelque chose de magique, d'envoûtant. Elles ont un arrière goût de vaudou, et Sowanna peut-être y est pour quelque chose, qui sait ?
    Le ciel brûlé par les flamboiement du coucher du jour, se sublime dans ce dernier embrasement, pour finalement, s'éteindre le temps d'une nuit d'encre. Mais pour l'heure, les ténèbres n'ont pas englouti l'île, et les ruelles sont encore baignées de cette lueur vacillante mais enflammée, de ce ciel qui se meurt.
    Oui, sur cette île, lorsque le jour décline, et que le monde flotte entre la douce hystérie joyeuse de la journée, et l'obscur plaisir des vices offerts par la nuit, tout semble s'arrêter. Les secondes durent des heures et les heures des années. L'homme goûte, éphémère, aux délices de l'immortalité, pour un temps, hors de la vie, hors de tout. Et, perdu dans ce rouage cassé, Crow, immobile ne sait plus.

    La journée avait étrangement commencé. Une potence, une mascarade de plus -une mascarade de trop ?. Elle avait eu cette saveur douce amère du mensonge, l'âpreté de la comédie mal jouée, et le corbeau était parti. Il avait quitté ce tribunal de carnaval, comme fatigué par tant de masques, tant de rôles. Il avait peut-être un peu fui, fui ses propres obsessions, ses propres hypocrisies grotesques. Mais qu'importe, il s'en était allé sans un mot, et, loin de la foule bigarrée et bruyante, son masque se fissura. Une fêlure minuscule, presque ridicule. Une fêlure qui arrivait bien souvent, ces derniers temps. Mais la plus fragile des brisures n'est jamais à négliger, surtout lorsque, répétitive, elle semble de bien mauvais augure. Mais Crow l'avait à peine sentie, et, le sourire au lèvres, il s'enfonça dans les quartiers sombres de l'île. Il est des lieux qui exercent un magnétisme irrésistible. Une sorte d'attirance inexorable peu à peu vous gagne, vous pénètre jusqu'au sang. Et enfin, vaincu, succombant à la tentation , vous vous jetiez dans l'odieux piège que vous tend la sombre ruelle. Crow était la victime parfaite. Ses pieds nus -même aujourd'hui il ne peut se résoudre à porter des chaussures- savouraient la fraîcheur poisseuse des pavés, habitués à cette saleté qui colle à la peau. Épuisé d'avoir assisté à la représentation de ses propres névroses, l'acteur sans fin errait de rues en rues, son sourire faux tordant ses lèvres en une grimace grotesque. Et puis, -attirance étrange du vice et de la rapine peut-être ?- la Fortune, douce amie qui porte les marins dans ses hasardeuses vagues, poussa ses pas vers cette rue plus qu'une autre. Un rire amusé se coinça dans sa gorge, et un simple sifflement ironique se faufila hors de sa bouche.
    La rue aux corbeaux. L'oiseau s'arrêta alors, presque hésitant à rentrer dans l'allée de ses congénères. Le lieu était imprégné d'une forte odeur, lourde, insistante. Et la peur rampait insidieusement dans l'esprit troublé du jeune homme. La peur. Une sensation lointaine, mélancolique.

    La peur du fouet. La peur du vagabond, prêt à le tuer pour une miche de pain. La peur de lui-même. La peur de...
    L'abandon ?


    Nostalgie, fadaises ! Crow n'avait eu peur de ces sottises que pendant sa fade enfance. Le corbeau serra le poing, et s'engouffra dans la ruelle. La sienne...

    Les yeux vides. Ou, au contraire, tellement brisés qu'ils en paraissent ternes. Épave humaine, recroquevillée. Il fait froid. Il fait chaud. Crow ne sait pas. Il est glacé. Sa peau est brûlante.
    Les masques sont tombés, éparpillés au sol, baignant dans l'eau croupie et rougeâtre qui coule entre les dalles de pierre. Pantin, petit pantin, contemple le vide, le tout. Il vit, il survit. Peut-être est-il mort, après tout ? Écroulé au sol, battu par la fatalité du désespoir, loque de chair et de sang, Crow n'est plus rien. Son nez est rempli de cette affreuse odeur de charogne, mais la nausée ne tord plus son ventre depuis longtemps. Ses yeux, billes d'enfer torturées par des vagues de tristesse, observe la silhouette désarticulée, de pourpre vêtue. Oui, quelle belle tenue grenat ! Elle colle ses membres verdâtres, coagulée, séchée. Mais Crow ne voit plus. La danse macabre de ses souvenirs l'entraîne dans un tango terrible.

    Elle était si belle, la peau laiteuse, le corps moelleux, les lèvres tendres. Ses cheveux, d'encre, roulaient comme des houles sous le vent, et caressaient son dos souple et ses hanches épaisses. Oui, elle était sublime, si douce, si douce...
    Un sourire, un rire. Sa main était si chaude.


    Sa main est si froide ! Grisâtre, encore délicate, mais déjà glaciale ! Quelle affreux cauchemar. Quelle affreuse réalité.
    Mam... Le mot s'éteint, se brise, écrasé par ce cadavre ignoble. Crow délire, pleure presque, et sa bouche tordue est crispée en un hurlement silencieux. Il n'entend pas ce qui l'entoure, ne voit plus rien, mais une voix résonne, comme venant de nulle part, et de partout à la fois.

    -C’est dommage : tout indique qu’elle dut être jolie.

    Oui, quel dommage.
    Elle était belle, nue, riant sur cette falaise. Sa robe était à terre, et puis, elle n'avait peur de rien.
    Elle aurait dû ! Elle aurait dû avoir peur ! Elle aurait dû le craindre lui !
    Elle était belle, comme un ange, comme une mè... Non !
    Trop tard, c'est trop tard Crow. Tu as vieilli, elle a pourri. Regarde son cadavre. C'est toi qui l'a tuée, il y a cinq ans. Cinq ans ? Mais alors... Qui est ce cadavre pourrissant ?
    Le sien ?!
    Non... Non...
    Mais Crow, sait bien, au fond, que c'est elle. Elle est revenue.

    La silhouette recroquevillée tremble, frissonne, hoquète, sanglote. Mais ne pleure pas vraiment. Il ne sait plus s'il a vingt ans, ou quinze, peut-être même cinq... Les souvenirs, défilent, terribles cavaliers de danse, qui l'entraînent dans leur dément spectacle. Crow danse un tango lugubre, fou. Il est perdu.
    Et puis, un tintement. On l'appelle. Qui ? Lui ? La voix fait son chemin dans son esprit tordu par la panique, et le corbeau relève les yeux. Ravagé, il cherche d'où provient le son, d'où vient l'intrus.

    -Hé, gamin ! Une pistole si tu vas dans la vieille église, et que tu allumes un cierge pour cette pauvre fille que personne n’doit pleurer.

    Nogaret. Malgré son délire brumeux et terrifié, il le reconnaît. Il a trop vu cette silhouette droite et fière, postée sur le pont, figure du maître, du chef. Son capitaine. L'entracte est finie, il faut rouvrir les rideaux, rejouer, encore et encore, le rôle de toute une vie, pour faire bonne figure. Mais n'est-ce pas trop tard ? Les masques sont brisés, et le jeune mousse tente de les reconstituer, en vain. Son sourire semble si lointain, et refuse de s'imprimer sur sa bouche sèche. Ses émeraudes filent, perdus, à la recherche d'un échappatoire. Le capitaine parle de nouveau, mais il n'écoute déjà plus. Il sait que bientôt, les regards vont se croiser, et le masque massacré git à ses pieds, le narguant presque.
    Le tango s'arrête sur un pas sec et tendu. Et, la peur au ventre, le pauvre danseur abandonné, les yeux rouges et le visage défait, ose enfin regarder son capitaine dans les yeux.


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Louis de Nogaret

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MessageSujet: Re: - Avertissement - Masques et Bergamasques. [PV]   - Avertissement - Masques et Bergamasques. [PV] EmptyDim 31 Oct - 1:56

Wolverine ~ Taste of Sand
    Silence. L'enfant du hasard demeurait là, immobile et muet. Nogaret eut un soupir d'humeur, mais c'est le visage fendu d’un sourire qu'il s’approcha, digne spectacle pour les autres et pour lui-même. Allons, ne reste pas planté là, tire-donc !* Et puis alors qu’il avançait vers lui, prêt à le houspiller un peu pour la forme, tout à sa fantaisie soudaine ... il s’arrêta, comme interdit. Ce n'est que là qu’il le reconnut, l’oiseau. Et croisant son regard, mille pensées étranges lui traversèrent l'esprit. Ainsi ... Ainsi le hasard avait-il voulu qu’un membre de son équipage s'allât émouvoir, de sa petite âme humide et veule, le soir-même où lui, Louis de Nogaret, devait croiser ses Vanités ... Ainsi la Fortune avait-elle souhaité que parmi tant de gamins usant leurs chausses de par les rues, il tombât sur celui qui pourrait peut-être le desservir un jour, si jamais il venait à garder le souvenir de son émotion passagère … C'est là une histoire pour me perdre - une ironie dernière dans des temps trop chanceux ! Le capitaine considéra alors la pièce qu’il tenait toujours entre ses doigts avec un amusement vague. - Fatale ironie : est-ce mon sort que j'allais acheter ! - Il la rangea, lentement, dans la poche de son gilet, comme surpris lui-même du geste et des intentions. Ses yeux passèrent sans s’arrêter – sans oser s’arrêter – sur la gisante, et c'est ravivés de quelque feu secret qu'ils cherchèrent à rattraper ceux du gamin. La silhouette est droite, toujours, l’habit en désordre point trop pauvre encore. Ne pouvait-on pas faire illusion, une fois encore !

    - … C'est donc toi ! Mais qu'est-ce que tu fais là !

    Et sans attendre de réponse - pouvait-il demander à un homme ce qu'il faisait dans les rues interlopes, quand lui-même s'y était perdu pour raisons plus douteuses encore ... - il s'avança de nouveau. Il chercha l'éclat de sa superbe dans les accidents du chemin et les reflets trompeurs, tandis que son ombre recouvrait, en toute inconscience, les brisures du masque et les larmes d'enfant. La voix, plus dure encore d’avoir été entendue, à une heure où l’on ne prenait pas garde … Et il s’en allait le rabrouer, en toute légitimité, dans sa petite injustice de tous les jours. Sans cruauté cependant – juste parce que c’était là ce qui se faisait, quand on était capitaine ... C'est qu'il en avait vus, dans sa jeunesse, de ces gens qui détenaient les honneurs par naissance et complot – et qui se sentaient comme tenus d’une autorité froide et sourcilleuse, afin de prouver que c’était là leur place. Point de légitimation – qui eût osé, qui eût pensé même remettre en cause leur droit de regard … ? – mais comme une crainte muette et honteuse, devant des hommes qui parlaient un autre langage, vivaient une autre vie. Suivant ses ambitions, Louis de Nogaret avait voulu mimer cette autorité verbeuse, pensant faire plus vrai que nature – et puis il avait pris le pli, car à la même place, l’on exécute les mêmes singeries, sans presqu’y songer. Et si le marin se croyait encore libre, le capitaine se trouva inquiet. Alors il faisait sentir, avec tout son symbole et sa pompe, la force d'un pouvoir usurpé, et ainsi redorait-il, à chaque instant, un blason peint à la va-vite, pour le présenter en toutes occasions. Même ... au détour d’une ruelle où vous pensiez ne croiser personne ... Mais l’enfant ne répondait pas, et c'était insupportable.

    - La connais-tu donc, pour être frappé de stupeur ainsi … !

    C’était là de l’impatience, et non de la compassion. Nogaret espéra trouver, dans le regard qui le fixait, quelques bribes de raison, un éclat de bon sens – après y avoir cherché, en désespoir, la couleur de la ruse et du secret. Ce n’est que là, peut-être, qu’il sentit quelque chose. Que confusément, il comprit que ce n’était point là de l’insolence, quand on ne lui répondait pas. Il pensa un instant à un de ces accès comme en ont les idiots et les convulsionnaires - le Corbeau riait trop librement à ses yeux, pour lui sembler sain d'esprit. Ce pouvait être cela, ce pouvait être autre chose. Et ne continuait-on pas de le regarder sans le voir … ? Alors, soutenant avec peine un silence qui l'accusait et le laissait penser, Louis de Nogaret eut une réaction étrange. Piétinant ses habitudes, brisant un instant la distance, la nécessaire distance qu'il maintenant entre lui et des hommes qui sinon ne pouvaient que sentir l'imposture, il se baissa - manteau traînant dans la boue. Il se baissa, saisit le gamin par les épaules – vit-on alors mains plus noires, doigts plus tordus par le labeur ? – et il le releva, d’autorité.

    - Eh bien, diras-tu quelque chose ?

    Dans sa voix, son accent, il y avait quelque chose de plus âpre, de plus dur - par quelque secrète métamorphose, l'on était loin, tout d'un coup, des manières policées et froides du grand mondain. La main toujours posée sur l'épaule, il secoua un peu la gamin, qui se laissait faire, comme pantin suspendu. Et puis soudain il le lâcha, comme prenant conscience que ce n'étaient plus ... Les prérogatives du rôle. Sans oser les regarder, il voyait malgré lui la robe rougeâtre en ses lambeaux, l'œil volé par les oiseaux.

    Et si les vagabonds détroussaient parures et frivoles artifices, il n'était donné qu'aux Corbeaux de vous arracher le reste.

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MessageSujet: Re: - Avertissement - Masques et Bergamasques. [PV]   - Avertissement - Masques et Bergamasques. [PV] EmptyDim 16 Jan - 10:54

    - … C'est donc toi ! Mais qu'est-ce que tu fais là !

    Qu'est-ce que tu fais là ? Crow ne sait déjà plus. Il y a dans son nez cette puanteur insoutenable, charogne pourrissant au soleil, la peau rongée par la mort avide. Il y a dans sa tête ces voix qui ne s'éteignent pas, et résonnent avec la douceur hypocrite d'une comptine. Comptine... Une voix domine, chaude, douce. Puis s'étrangle. Tu l'étrangles, Crow. C'est toi qui l'étrangles avec tes mains trop grandes et trop maigres qui baignent dans l'eau croupie et le sang. Elles sont là, gauches, lâchées sur la caillasse comme on jette au loin de simples haillons. Serres fatiguées et tristes de l'oiseau presque mort.
    Qu'est-ce que tu fais là ? Crow voudrait répondre, faire taire la délicate mélopée qui s'enroule dans son crâne. Il entend presque le sang couler hors des lèvres craquelées, dégouliner entre les dents noires, envahir la gorge sèche. Mais elle chante encore. Crow voudrait le dire. Ce qu'il fait là ? Il meurt un peu.
    Il danse avec la mort, il danse avec la morte. Et elle chante, cadavre flétri. Fauchée par l'horreur du matricide, mutilée par la rage incompréhensible du masque tordu.
    Qu'est-ce que tu fais là ? Il fait sûrement comme tous les corbeaux. Contempler les cadavres gangrénés, le bec frétillant. Lui picorer l'œil, peut-être ? Arracher les lambeaux de peau putréfiée ?
    Il aurait pu. Mais la dépouille a le visage des regrets sous la couche de crasse et de sang séché. Le regret de celle qui, la peau nue et blanche, aurait pu, peut-être, devenir les bras qui serrent, les lèvres qui baisent et les mains qui caressent. Mais il n'y a plus que cette mue triste et sèche, restes de l'ange crucifié. Alors, qu'est-ce qu'il fait là ? Il devient fou, il devient triste.

    Il y a, sur le sol, le masque fendu, craquelé. N'était-il point brisé ? C'était une illusion. La tumeur est tenace, elle reste là, pourrit l'âme et le corps. Malédiction de celui qui s'est damné seul. Le sourire est pourtant fané sur les lèvres misérables, il ne reste tout au plus sur les joues creusées, que des marques légères -rides du clown fatigué. Crow regarde Nogaret sans le voir. Les yeux s'accrochent à tout, les pierres suintant d'humidité comme les cuisses des catins, les dalles démembrées comme les victimes d'un soir, le ciel qui déjà terni, et se rempli de noir comme la peste qui dévore les chairs encore fraîches. Tout. Sauf lui. Sauf ce noble au blason noir, pavillon triste qui flotte au vent. Superbe hésitante, manteau élégant mais grandeur au ras du sol. Le regarder -le regarder vraiment- signifierait sûrement perdre plus encore la tête. Avouer au capitaine, à cette silhouette froide, que le corbeau rieur n'est qu'un piaf empaillé et vide. La paille lui sort par les yeux, par le bec.
    Il ne reste alors plus qu'à regarder -billes de verre- cette noblesse sanglante, sans jamais vraiment voir les yeux durs. Peut-être alors qu'il il verrait le doute du menteur. Mais il ne voit pas.
    Il ne parle pas. Silence douloureux des mots brisés en plein vol. Il y en a tant, qui aimerait éclater. Des au secours, des insultes, des appels chevrotants. Mais que dire, lorsque la mort vous embrasse à pleine bouche, comme pour avaler vocables et plaintes ?

    - La connais-tu donc, pour être frappé de stupeur ainsi … !

    La connaître... Crow ne connaît pas le pantin au sol, imitation grotesque. Il connaît la vraie. La belle. La splendide. Il connaît la voix cristalline, la douceur mordante, le courage un peu brisé, le rire chaud. Il la connaît elle. Il la connaît par cœur. Se souvient de la texture de sa peau. De la couleur de ses cheveux. Du goût atroce de son sang. Métallique. Un peu amer. Il la connait. Alors, réflexe ou réminiscence de la vie qui gonflait ses muscles, le corbeau hoche lentement sa tête un peu ballante. Geste minuscule. Des yeux extérieurs ne voient que l'ondulation molle d'un visage, faiblesse du cou peut-être. Les efforts demandés sont pourtant énormes. Il en ressort épuisé.
    Des mains s'agrippent alors. Les mains ne mentent jamais. Noires, tordues par le travail. Il n'y a là dedans de noble que l'impérieuse autorité. Le manteau dans la boue, les doigts serrant le miséreux. Crow sent sur sa peau nue et brûlée par le soleil cette paume rugueuse. Il y sent le contact de ces marchands colériques, de ces vieux marins qui empoignaient sa gorge. N'y reconnaît ni la superbe d'un Nogaret, ni la grandeur d'un nobliau. Grain rêche, mains épaisses qui le soulèvent. Le geste seul, peut-être, a ce petit quelque chose du caprice princier. Mais jamais un prince ne toucherait la vermine baignant dans la boue. Il ne comprend pas, et dans les brumes de son esprit, le visage de Nogaret en devient plus dur, plus carré. Son masque, après tout, ne couvrait-il pas aussi les yeux ? Le voilà à terre, brisé ou pas, et sans vraiment voir, ses yeux voient plus que jamais. Mais n'en ressort que l'incompréhension amorphe du fou anéanti.

    - Eh bien, diras-tu quelque chose ?

    Dire quelque chose. Mais Crow ne comprend plus. Il y a ces mots, cette voix impérieuse mais pressée, presque inquiète a disparu. Elle est dure, a cette âpreté sauvage des pauvres enragés. Nogaret. Nogaret ? Soulevé, secoué, le corbeau doucement reprend vie.
    Elle vient d'abord glisser dans ses veines, envahit ses muscles. Ses doigts bougent un peu, les premiers. Un sursaut de la peau, un frissonnement. Et puis les yeux sont clignés. Une fois.
    Les sourcil se froncent.
    Il ne comprend pas. C'est bien son capitaine qui le lâche, qui recule. Il pourrait s'effondrer, sans l'accroche des mains puissantes. Mais le sang afflue vers ses jambes. Il reste droit.
    Le masque git encore. Crow le reprendra plus tard. Pour l'instant sa bouche triste se courbe vers le bas, comme une révérence apathique. La chimère disparaît du cadavre, il ne reste plus que la robe rouge, la catin déchiquetée. Doucement, le corbeau respire.

    La voix est partie, la comptine enfin finie.

    Et devant lui, cet homme.

    - Capitaine, c'est vous ?

    Il n'y a dans cette question ni le manque de repères, ni l'aveuglement du dément. Cette question n'est rien de plus que les serres du charognard qui se posent sur un masque. Un autre, tiens. C'est presque avec la tendresse des amis retrouvés qu'ils s'y agrippent, prêts à le gratter.


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MessageSujet: Re: - Avertissement - Masques et Bergamasques. [PV]   - Avertissement - Masques et Bergamasques. [PV] EmptyMer 26 Jan - 18:21

    - Capitaine, c’est vous ?

    Nogaret ne sentit point le danger qui demeurait en cette question. Il répliqua aussitôt, brutal et vulgaire, comme font les hommes mis au pied du mur :

    - Qui d’autre, bougre d’imbécile ?

    Jetant à peine un regard au cadavre, il sentait encore cette odeur lourde lui tourner un peu l'esprit – singulière ivresse que celle provoquée par la mort des autres. Et il sentit de nouveau combien la rue toute entière exhalait ses vapeurs fétides, comme l’image prégnante d’un danger à venir. Là-bas, au loin, la maison brinquebalante de la sorcière de Tortuga où coassaient encore des corbeaux étiques. Entre les bibelots, les fioles … Une grimace lui échappa, il saisit le bras du gamin, l’entraîna avec lui.

    - Viens, rien ne nous retient ici.

    Sa main était froide, l’étreinte nerveuse et forcée. Marchant à grands pas, il bifurqua deux fois, les perdit davantage dans les ruelles – loin d’une vision qui, il le présageait, les dérobait au monde. Ils parvinrent à l'une de ces impasses bâtardes qui naissent, comme mauvaises herbes, des constructions hâtives. Les murs y sont fragiles, les parois bien peu hautes. C’est pourtant assez pour vous piéger un homme. Nogaret y lâcha l’enfant, comme en un enclos sûr, et dissimula dans l’ombre un trouble naissant. Il eût pu, l'idée lui vint alors, couper court à cet insolent débit d'inanité sonore - les deux pistolets qu'il portait au côté étaient chargés, toujours, et il avait son mousquet à la lame encore sûre. Il eût pu simplifier la réponse à cette question, qui tremblait encore en son souvenir. Capitaine, c’est vous … ? Était-ce lui, en effet ? La requête était étrange, et l’illusion toujours fragile. Ne l’avait-il point invectivé comme fait un capitaine devant ses hommes, pourtant ? Pourquoi alors cette question … ! Et il chercha la réponse désirée, comme nécessaire. Sans doute que le gamin devait être un peu fou … Ne le pensait-il point un peu, chaque jour ? Alors il chercha encore, comme pour se rassurer, les stigmates au fond de son regard éteint, le tremblement des hystériques dans les phalanges immobiles, la marque, indiscutable, de ce dérèglement des sens. Ne la trouva … Qu’à peine. Il eut un geste, lent, vers la garde de l'arme, qui dormait encore, tandis que le gamin regardait ailleurs. Une charogne de plus dans les rues salles de Tortuga - cela ne vous changeait pas une vie.

    Mais il ressentit peut-être quelque pitié à voir ce corps sans attache - voyageur sans bagage. Quelque part, au fond, secrète fraternité avec les égarés de jeunesses, ceux qui se font sans rien ni personne ... et futilités dans le genre. Le geste se suspendit, plus haut et il sortit d'une poche de sa veste, sans y penser, une petite gourde de peau contenant quelque bas alcool, qu’il lui tendit tout d’abord. Puis lâcha :

    - Le crieur court les rues pour annoncer la nouvelle. Sais-tu que nous repartons demain si les vents sont pour nous ?

    Il attendit un temps, reprit la gourde, distraitement – sans pouvoir dire, pour tout avouer, si le gamin y avait porté ses lèvres ou non. Il avala une gorgée du liquide rance, grimaça à peine, puis rangea l'objet. L'effet ne vaut rien et il lui semble presque précieux – étrangeté de plus en son illogique fortune.

    - Tu aurais dû retourner au navire avec les autres, au lieu d’errer à l’aveugle. Ou du moins mieux profiter de ton ignorance et nous revenir rassasié de toutes choses.

    C’était là toute sa compétence en tant que médecin des âmes. Il se murmura de glisser un mot au Khazi à propos de cet enfant tout grêle - oublier un instant les châtiments, pour voir si quelque folie s'échappait seule de ce corps. Et il demeura là, presque paternel et soudain ridicule, le dos tourné à l’horizon. Peut-être était-ce cela, le sens de la question : quel homme avait pris la place de celui qui jouait tout d’indifférence, laissant au Khazi les colères noires et à Malpertuis les compassions nécessaires ? Était-ce là ce capitaine qui hier encore ne vous apercevait qu'à peine, et pour qui vous n’étiez qu’une ombre qui passe … ? Un tel homme eût tranché dans le vif du problème, pour protéger une place déjà par trop fragile ... Et tandis qu’il parlait, songeur et différent, quelque bruit s’était fait du fond des ruelles. Les pas ferrés de lourdes bottes, le bruit métallique d’une arme que l’on dégaine. Ils étaient deux en cette impasse, dévoilés l’un à l’autre et aveugles au reste. Cela vous suffisait pour vous piéger un homme.

    Il ne nous reste plus qu'à voir alors si les Corbeaux, en dignes oiseaux prophètes, parviennent à discerner les dangers à la tombée du jour.

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