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 "[...] je pâlis à sa vue." (flashback)

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"[...] je pâlis à sa vue."  (flashback) Vide
MessageSujet: "[...] je pâlis à sa vue." (flashback)   "[...] je pâlis à sa vue."  (flashback) EmptyMar 9 Nov - 22:25

* titre venant de Phèdre, de Monsieur de RACINE ^^

Après les grands fracas viennent les grands silences, et doña Ines disait toujours : "Il vaut mieux se méfier du silence que du bruit."*
Ana revoyait sa mère, son visage si long, si fin, encadrés de cheveux noirs et épais jamais détachés, lui disant doucement : "Preciosa, más vale desconfiarse del silencio que del ruido."*

Hormis les craquements du bois, les froissements des cordages, son propre coeur qui battait à tout rompre, pas un bruit qui ne vînt. Les pirates étaient français, ou du moins les ordres qui étaient criés depuis leur navire étaient-ils en français. Qu'on la découvre dans la cabine du capitaine du Libertad, c'était là chose évidente. C'était d'ailleurs sa seule issue, que ferait-elle, si on la laissait là ?
A cette pensée, elle se trouva ridicule et ironisa : "Por cierto, hija ! por qué no salir y rendirte sonriendo ?" (Bien sûr, ma fille ! Pourquoi ne pas sortir et te rendre avec le sourire ?)

D'instinct, elle caressa les grains de son chapelet, mais la peur l'empêchait de dire la moindre prière... Elle se résigna à attendre, jugeant que c'était là une épreuve que le Père de tout mettait sur son chemin, jusque là bien tranquille.
Un craquement ? Non, c'était plus long, plus terrifiant... plus humain. On entrait.

- Qui va là ? s'écria Ana en français. Pour l'amour de Dieu, répondez !



Dernière édition par Ana-María de Armerín le Lun 15 Nov - 0:25, édité 1 fois
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Louis de Nogaret

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MessageSujet: Re: "[...] je pâlis à sa vue." (flashback)   "[...] je pâlis à sa vue."  (flashback) EmptyVen 12 Nov - 21:47

    Il était un seul privilège réservé aux capitaines de la flibuste : c’était de visiter en solitude l’antre du vaincu et d’y pouvoir dérober quelques vanités et menus trésors – belles étoffes, pages arrachées et faux souvenirs à ériger en trophées de guerre. C’était par la somme de ces infamies dérisoires, petite rapines impatientes que Nogaret s’était constitué un trésor – son patrimoine - tout de beautés usurpées. Son apparence avait suivi les modes et conventions, avec quelques années de retard ; sa culture, toute de failles et de diversité, était devenue celle des officiers de Marine et autres originaux embarqués à l’occasion. Malheureux prisonniers de qui il tenait une pleine malle de livres et carnets de bord, pris, sans goût ni passion, pour être amassés dans un coin de cabine et au fond de sa mémoire. Pour les besoins de son mensonge et de ses vagues heures d’ennui. Sur le pont, les cris s’étaient estompés – on entendait, en demi-teinte le concert des lamentations et des prières avec, en dissonance, les cris de victoire des matelots de l’Amphitrite. Ce qui restait de l’équipage du Libertad demeurait là, au beau milieu du pont, nerveux et hagard – tandis que des hommes sans foi ni morale discutaient de leur sort. Attendre l’issue de son jugement, avec la seule utilité, le seul pragmatisme pour toute possibilité de salut, voilà ce que devaient connaître à présent ceux qui, en désespoir de cause, s’étaient rendus après avoir livré bataille. Nogaret laissa, comme de coutume, les prisonniers aux mains des matelots, tandis que les officiers couraient aux quatre coins du navire, pour ramener devant tous les parts du butin – un navire espagnol, que diable ! C’était là grande promesse d’or ! – et il se dirigea vers la cabine, à pas lents. Posa la main sur la poignée. Qui résista.

    Lueur étrange s’alluma alors en son regard. Il y avait là une proie point encore captive – savante maîtresse dissimulée aux yeux de l’équipage, matelot trop zélé souhaitant mourir en martyre ou homme de confiance chargé de quelque dissimulation. Nombre d’yeux se tournèrent vers cette porte qui résistait – regards indistincts, rongés par la peur, des captifs encore vivants, regards amusés des forbans devenus geôliers. Le capitaine eut un sourire et, lentement, avec une application rieuse, il chargea ses deux pistolets, demeurés muets depuis le début de l’abordage. Cela fait, il posa de nouveau la main sur la poignée – on eût cru, un instant, un court instant qu’il revenait chez une ancienne amie, après être parti en voyage … Mais l’impression fut de courte durée – d’un heurt, il força la porte. Le bois, fatigué par la mer, céda, le verrou s’arracha. Et ce fut en conquérant sûr de sa victoire qu’il pénétra dans cette alcôve où dormait quelque secret.

    Par chance, il entendit cette voix féminine, tandis qu’il poussait la porte grinçante. Et, par confiance ou mépris – qui sait ? – il baissa le canon de son arme, dès lors qu’il la vit. C’était un visage hanté par deux yeux brûlants, encadré de longs cheveux noirs – de ces beautés altières et dures qu’ont les femmes du Sud. Il repoussa la porte, soucieux de dérober cette trouvaille et son inspection aux yeux trop indiscrets des hommes d’équipage et il demeura là, un instant, parfaitement calme, à la dévisager. Détachant son regard, il inspecta les lieux, commença à parcourir les menus papiers, les menus trésors. Et puis il parla. Sans la regarder.

    - Vous vous y prenez bien tôt, Madame, pour porter le deuil : le navire qui vous porte n’a point encore coulé. A moins - suis-je donc bête - que ce ne soit votre capitaine, que vous pleuriez ainsi ?

    Vague sourire couleur d'insolence.
    Louis de Nogaret n’était pas de ceux qui aimaient à répondre aux questions.
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MessageSujet: Re: "[...] je pâlis à sa vue." (flashback)   "[...] je pâlis à sa vue."  (flashback) EmptyVen 12 Nov - 22:27

C’est seulement quand l’homme commença à fureter parmi les effets du capitaine qu’Ana comprit qu’il avait forcé la porte un pistolet en main. Elle eût dû ressentir quelque chose comme de la peur, ou du moins de l’appréhension, mais l’inconnu parla…

- Vous vous y prenez bien tôt, Madame, pour porter le deuil : le navire qui vous porte n’a point encore coulé. A moins - suis-je donc bête - que ce ne soit votre capitaine, que vous pleuriez ainsi ?

Il était insolent, et il ne se présentait pas. Sans doute croyait-il pouvoir lui tenir tête, d’égal à égal ? Cette idée la fit sourire d’orgueil. Elle choisit de le tutoyer, afin de marquer la hauteur depuis laquelle elle s’adressait à lui :

- Puisque tu as renoncé à la politesse, sache que je suis la fille du duc de Armerin del Manzanares, et la fiancée de Son Excellence le prince de Azahar. Mon frère est l'un des généraux des Armadas Reales, et feue ma mère était cousine de Sa Majesté Carlos III de Bourbon, roi d'Espagne et des Indes d'Amérique.
Quand on porte le deuil d’une femme de cette qualité, et qu’on bénéficie d’un tel lignage, les seules relations que l’on a avec un simple capitaine de navire sont celles que dicte la hiérarchie.


Le léger accent espagnol d’Ana lui fit achopper sur le mot de « hiérarchie », mais la colère qui montait en elle au fur et à mesure qu’elle parlait décuplait son courage. Elle fit un pas, net, souple, accompagné un froissement de sa longue robe noire, vers l’inconnu qui la regardait. Il était étonnamment élégant, pour un membre de la piraterie, quoiqu'un œil aussi exercé que celui de la jeune femme, et aussi habitué au luxe, décelât sans peine tous les défauts de son aspect. Au vrai, sa silhouette souhaitait plus la distinction qu’elle ne la possédait. Cette constatation la renforça dans sa résolution de remettre chacun à sa place, et comme il restait silencieux, elle ajouta :

- Tu sais maintenant sur qui tu as levé les yeux, pirate. D'ordinaire, ton nom ne m'eût pas plus intéressé que celui des rustres de ton engeance que mon frère fait pendre, mais aujourd'hui est jour d'exception, semble-t-il. Je t'autorise à t'adresser à moi en disant « doña Ana », et renouvelle la faveur que je t’ai précédemment faite en te demandant : qui es-tu ?


Dernière édition par Ana-María de Armerín le Jeu 13 Jan - 15:56, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: "[...] je pâlis à sa vue." (flashback)   "[...] je pâlis à sa vue."  (flashback) EmptyLun 15 Nov - 0:52

    Mais tandis qu’il évoluait, promenant son regard sur les richesses et les failles, sur les infimes traces d’un homme pour l’heure jeté à la mort, il observait cette femme, d’un œil torve – cherchant dans les froissements de son orgueil, dans les ombres de ses châles quelque réponse peut-être, et guettant tout mouvement vif et incontrôlé. Il ne pensait pas encore qu’une femme pût le mettre réellement en danger – c’était là trop leur supposer – mais il gardait vieux souvenirs cuisants des jours où, naïf encore, il avait tourné le dos sans penser que, peut-être … ! Oh, à présent, il savait, Nogaret, que le désir de vengeance était le lot de tout un monde – mais qu’en ces ternes histoires, il y avait plus de lâcheté et de désespoir dans le cœur des femmes que dans celui des hommes. Et s’il la détaillait donc, c’était d’une méfiance insultante, d’une observation obscène, arrimé à son silence, occupé à sa besogne ... Il posa la main sur un livre qui traînait là, l’ouvrit au hasard, parcourut une phrase, deux peut-être sans comprendre, attrapant quelques mots au hasard. Et puis, elle parla. Elle parle et le livre toujours ouvert entre ses mains, lentement, très lentement, avec la fébrilité de l’orgueil qui se cabre, il dut bien lever les yeux vers elle.

    Il l’écouta énumérer, avec cette voix dure et douloureuse, des noms étrangers qui lui semblaient tout et ne lui signifiaient rien. Il l’écouta cracher son mépris, avec une morgue et une colère qui eussent dû être les siennes. Il l’écouta, grand Dieu, aussi longtemps qu’il put supporter de l’entendre … Vit-elle alors, en son regard, tout ce qui se révoltait soudain, alors qu’il ressentait soudain cette ironie de l’inaccessible ! On l’avait supplié, on l’avait fui, on l’avait craint, et en ce jour, une femme, une faible femme – fût-elle fille de duc et presque princesse – avait osé lui parler comme au dernier des hommes. Cela dura le temps d’un souffle - le livre lui échappa des mains, tomba avec fracas. En un instant, il fut sur elle.

    - Vous devriez, Madame, faire preuve d’un peu plus de respect à mon égard, et à celui des rustres de mon engeance.

    D'un geste, précis, brutal, il avait saisi le poignet frêle et on eût dit qu’il se retenait de le briser. Et c'était une odeur d'homme, ranci par la mer, avili par les ans, c'était la rudesse des mains brunes, seules vérités non dissimulées par l'étoffe, c'était un danger bien palpable, violent et soudain. Et il reprit, avec sa hargne et son orgueil d’oiseau-roi.

    - Pensez-vous avoir affaire à votre valet ... ? Vous lancez vos traits à l’aveugle. J’ose croire, bien qu’on m’en ait conté sur l’orgueil des espagnols, qu’une ancienne famille de France ne vous est pas rien. Vous parlez à Louis de Nogaret, et je ne prendrais point la peine, Madame, d'énoncer devant vous les hauts faits de cette lignée pour acquérir quelque valeur à vos yeux.

    Son regard qui brûlait, sous le coup de la rage, ne disait-il point le contraire ... ? Il était deux colères, en vérité : celle qui vous emportait, comme passion dangereuse et ... Cette haine des choses et des hommes que vous distilliez comme un poison, cette liqueur vive qui, dès lors qu'elle passait vos lèvres, vous était aussi douloureuse que délectable. Voyant qu'elle ne baissait point les yeux, il eut un geste d'impatience. Mais il dit, avec plus de calme et plus de lenteur, ce qu'un autre eût dit avec emportement :

    - Mais il est des mépris, aveugles ou non, que l'on garde sous silence. Vous ferais-je l’affront de vous dire ce que je pourrais faire de vous ... ? J’ai un complet équipage, qui attend, sur le pont, et qui n’a point vu de femme depuis des semaines ; il semblerait qu’il ignorât encore votre présence. Un rustre de cette engeance vous eût livré, sans même attendre votre nom, sans même vous entendre. Il vous eût tué voyant que vous ne baissiez point les yeux devant lui. Mais si vous tenez à cette image, cependant, soyez bien sûre que je me ferai un honneur de m'y conformer.

    Vague signe de tête, en ironie, et déserrant son étreinte, il se détourna, épris de ses propres hauteurs, aveugle à ses bassesses : Nogaret avait du mal à comprendre que de l’aigle et de Prométhée, ce n’était pas le noble oiseau qui atteignait au sublime.


Dernière édition par Louis de Nogaret le Mar 16 Nov - 23:23, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: "[...] je pâlis à sa vue." (flashback)   "[...] je pâlis à sa vue."  (flashback) EmptyLun 15 Nov - 1:32

Ce liquide glacé et douloureux qui avait dévalé sa trachée quand le pirate avait saisi son poignet, c’était, Ana le savait, la peur.
Elle faillit se débattre, ordonner qu’on la lâchât, mais tout ce qui lui restait de courage, de sang-froid et de noblesse, parvint à la contenir. Il eût été trop heureux de la voir céder à la panique.
Chien qui aboie ne mord pas. Il menaçait, mais ne frappait ni n’appelait. Elle fut tentée de l’affubler de ce nom, « chien », mais une voix en elle lui souffla que c’était cette fois aller trop loin.
Il ne fallait verser dans aucun des deux excès : ni dans la soumission, ni dans l’effronterie. L’équanimité était la première vertu des hautes naissances.

Elle le laissa finir, lui abandonna son poignet, soutint son regard, et quand il la lâcha, attendit quelques secondes avant de s’établir dans une insolence hautaine, qu’elle renforça du plus de finesse d’esprit que l’émotion laissait à sa disposition.

De l’extérieur, on devinait un léger trouble, mais bien moindre que celui qui s’agitait en elle. Elle eût pu tout aussi bien briser son éventail favori : ç’eût été une expression de déplaisir similaire qui se fût peint sur son joli visage. Par prudence, elle revint au vouvoiement :

- Dites-moi, Monsieur, votre langue relativement correcte passe sans doute pour une forme de distinction, dans les assemblées que vous présidez désormais ?

Oh comme le regard qu’il lui lança débordait de haine, et comme elle vacilla en elle-même ! Fallait-il se raviser ? Mais dans un cœur de race andalouse, on pousse la fierté jusqu’au bout. Les conséquences et leur constat s’imposent ensuite.
Il avait trop pris d’ascendant pendant son petit discours, elle devait reprendre du terrain. Souriant de sa propre audace, elle fit passer la rage de son interlocuteur pour une faiblesse d’esprit :

- Vous ne comprenez pas, sans doute… Nogaret est un nom qui ne m’est pas inconnu, en effet, et que j’estime. Mais tout ce qu’il vous a apporté le jour de votre naissance n’est plus, je le crains.
Si vous avez jamais été noble, l'état où vous vous trouvez en vous présentant devant moi aujourd’hui vous retire toute hauteur. De la sublimité vous n’avez plus que la perte, ou – plus médiocre encore – que l'espoir de l’atteindre.


Craignant de le voir fulminer, et que cette vision l’effrayât, elle fixa son regard juste derrière lui pour achever :

- Mais, du gentilhomme d’autrefois il doit bien rester un peu plus qu’une langue correcte… Vous connaissez fort bien les risques encourus par un méfait commis à mon endroit. Mon frère est un traqueur de pirates, il ne vous laissera pas de répit tant que son sang criera vengeance. Du reste, même le plus sot et le plus grossier de vos hommes comprendrait qu’il y a un avantage pécuniaire non négligeable à me garder en vie… et intacte.
Alors, non… Vous ne ferez pas ce que vous avez dit.


Elle se tut un instant, qui lui parut un siècle. Il fallait un peu de silence pour donner plus de poids à sa dernière phrase, qui lui était venu à l’esprit immédiatement après que Nogaret eut dit son nom. Elle l’avait gardée pour le moment opportun. Elle la prononça sur le ton du coup de grâce : net, tranchant, sans merci et avec, aussi, une forme terrible de beauté :

- Vous ne serez jamais seigneur que des soudards, des goujats, et des femmes de mauvaise vie, Monsieur de Nogaret… Risible royaume.
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MessageSujet: Re: "[...] je pâlis à sa vue." (flashback)   "[...] je pâlis à sa vue."  (flashback) EmptyMar 16 Nov - 0:50

    Son regard cependant se troubla – Nogaret était trop à l’affût d’une défaite, fut-elle infime, au fond de ces yeux-là. Un instant, il crut avoir vaincu, comme de juste, parce qu’il y avait en lui de ce mauvais satyre qui brisait les arabesques folles des dryades, et qui pensait que c’était cela, les aimer ; parce qu’il restait, bribes éparses dans les ruines de son cœur, les impressions confuses de celui à qui l’on ne donnait rien, et qui avait fini par prendre, d’un geste, en désobéissance. Un instant, revêtu de ses habiles prétextes, drapé dans sa froideur d’indifférence, il pensa que l’on rentrait dans l’ordre des choses, s’exagérant peut-être ce regard qui s’assombrissait, à mesure … Mais il fut démenti bien vite. Ses mots à elle, nimbés de l’éclat fier de son pays, tout rutilants d’or, lui arrivaient ternes et tranchants comme trésors usurpés. Cette liqueur amère, il la but, silencieux, jusqu’à la lie, rendu muet par la rage, le visage tordu par la colère. En cette heure, il était aussi laid qu’elle pouvait être belle – et il y avait quelque chose en lui qui prenait la place, peu à peu, de la fierté hautaine et du bon mot. Quelque chose d’enfoui qu’on ne s’avoue plus et que l’on croit mort et qui, sous le mot de trop, se cabre et cavale, bride abattue, bête folle …

    Elle lui parla de risques, il l’entendit à peine. C’était un élan qu’il réprimait, parce qu’il l’avait réprimé toute sa vie, un hurlement premier qui venait le prendre à la gorge, et qu’il ne pouvait décemment laisser sortir, parce qu’il avait toujours fallu se taire, pour servir comme pour régner.

    - Vous ne serez jamais seigneur que des soudards, des goujats, et des femmes de mauvaise vie, Monsieur de Nogaret… Risible royaume.

    Et le silence garda ses droits. Il se jeta sur elle – frémissement plaintif des mousselines qui se froissent, crissements des restes d’une madone blanche, au visage éparpillé sur le sol … Les mains tremblantes sur ses épaules frêles, perdues dans les dentelles, l’œil voilé par la fureur, il la précipita contre le mur. Les bois gémirent, sous le poids de leurs deux corps. Et il demeura, dans cette hostilité silencieuse, sans faux-semblants ni retenue aucune, comme s’il cherchait à la broyer – belle chose importune – sous le poids de sa haine et de son ressentiment. Sentit-elle alors qu’il y avait eu métamorphose ? Parce que ce n’était plus l’homme qui, en maniant la poudre et le fer, avec cette froideur feinte qui tenait de l’inhumanité, vous ôtait la vie comme on fait un calembour, c’était autre chose … Celui qui, pris d’une folie soudaine, la tenait à présent entre ses fureurs silencieuses, c’était un homme qui tuait à mains nues, par vengeance et par rancune, pour un mot qui l’offensait ou pire encore, qui lui semblait obscur. Les doigts crispés sur le désordre du châle, il cracha enfin, d’une voix rauque :

    - C’est mal connaître les gens de mon espèce … Risible royaume que la mer ? Mais on y gagne … L’impunité, par exemple. Engloutis, le Libertad et ses cadavres ne m’accuseront pas. Depuis quand les voyages sont-ils sûrs ? Une tempête, une erreur de navigation, et vous disparaissez, avec eux. Je pourrai vous avilir, autant qu’il m’est possible, vous clouer à cette paroi et sortir, tandis que vous agonisez, seule, ignorée de tous, pour aller ordonner la destruction complète du navire … Un mauvais sabre pour votre silence.

    Il y avait quelque chose d’obscène mais dénué de tout désir dans sa façon de l’étreindre, alors qu'il se pressait contre la raideur de sa robe, froissant les tissus, meurtrissant les chairs, voyant l’offense avant de voir la femme. Il pensa à ce qu’elle lui objectait, à ce qu’elle lui objecterait encore et, trébuchant entre le cri de colère et le ricanement, il reprit :

    - … L’argent ? Mais croyez-vous qu’on puisse monnayer votre insolence ? Mes hommes verront l’or que vous charriez, mais … mes hommes ignorent votre existence. Alors …

    Il chercha son regard, y planta le sien, soudain devenu trop clair, trop lisible. Il avait tout perdu, jusqu’à sa hauteur, jusqu’à ce code de conduite et de vie qui servait son orgueil et nourrissait, chaque jour, sa rancœur blessée.

    - Alors si je le désire, bien sûr que je le ferai.

    Risible royaume que celui où le roi se meurt.
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MessageSujet: Re: "[...] je pâlis à sa vue." (flashback)   "[...] je pâlis à sa vue."  (flashback) EmptyMar 16 Nov - 11:40

¿Y si muriera yo ?

La croix blanche de son chapelet lui avait échappé. Si les perles de nacre, tenues entre elles par une fine chaîne d’argent, n’avaient pas été enroulées autour de son poignet, Ana eût été définitivement seule dans la tempête qui suivit son insolence. La fureur de Nogaret l’avait heurtée comme un récif la coque d’un galion. Sa conscience tituba quelques secondes.

¿Y si muriera ? « Et si je mourais ? »
Cette phrase tonnait violemment dans la tête de la jeune femme.
La terreur la traversa. Pas tant celle de mourir que celle de voir le soudain changement de son interlocuteur. La stupeur d’avoir déchaîné un monstre insoupçonnable l’emporta sur la peur à laquelle il eût été tout à fait commun de s’abandonner.
Il rejetait l’argent qu’elle représentait, mais dans l’aveuglement de sa colère, et non dans la hauteur d’un geste noble. Peut-être avait-elle présumé de l’éclat des richesses sur les âmes des hors-la-loi ? Ana ignorait qu’on pût être un être détestable sans pourtant faire preuve d'une vénalité foncière.

- Alors si je le désire, bien sûr que je le ferai.

- Eh bien, faîtes, dit-elle sur un ton d’évidence et étrangement dénué de provocation.

Si la situation avait été contée et non vécue, elle eût ri de l’audace inconsciente de cette réponse, aux vues de la posture dans laquelle elle se trouvait. Prononce-t-on le verbe « prendre » quand un homme vous tient plaquée contre un mur ?
Mais Ana ne craignait pas le corps des autres. Depuis toujours, elle avait eu l’heur - son éducation n’y était sans doute pas étrangère - de posséder de l’ascendant. Sa présence attachait sur elle les regards, elle n’avait jamais eu besoin de hausser la voix pour qu’on l’écoutât, et le respect qu’elle inspirait naturellement n’était pas sans se mêler d’une sorte d’appréhension. Chez un homme, cet ascendant faisait un chef - comme son père, comme son frère. Chez une femme, il faisait une dame de chanson courtoise. Il y avait toujours comme un silence dans une pièce où elle allait entrer, même quand elle n’était pas annoncée. Personne ne s’était aventuré à l’approcher de trop près, hors ses parents et son frère pour l’étreindre et ses suivantes pour la vêtir.
L’homme qui la brutalisait présentement avait accompli, l’espace d’un instant, ce que personne n’avait osé en vingt années d’existence : il s’était saisi d’elle comme de tout autre corps. Se voir renvoyer avec tant de netteté parmi les simples mortels peuplant ce monde donna à Ana un vertige qui l’eût davantage intriguée que déçue ou humiliée, si elle avait été en mesure de se laisser aller à des émotions habituelles.
Sans qu’elle sût au juste pourquoi, l’idée lui vint que « l’ancien » Nogaret n’eût pas été capable de cela.

Pourtant - vestige du pirate se voulant élégant du début de l’entretien ? - il menaçait encore. Le ton qu’elle avait pris était une manière de signifier : « qu’attends-tu ? ». Sans doute les princes espagnoles tergiversent-ils moins sur le sort des pirates que le contraire…
Ce n’était plus de l’insolence, dans la voix d’Ana, mais une étrange et effrayante simplicité. Elle admettait la situation dans laquelle elle se trouvait - pire, elle l’acceptait ! - et se soumettait aux contingences sans la moindre protestation : Nogaret avait le pouvoir de décider de sa mort. Elle reconnaissait l’ordre établi des choses, avec la même évidence que celle qui l’avait poussée à s’offusquer de ce qu’il ne reconnût pas leurs rangs respectifs.
Ana, au fond, ne se rebellait jamais que contre les entorses faites aux règles.

- Eh bien, faîtes, dit-elle donc.
Prenez ce que vous voulez…

Elle crut distinguer dans l’œil de son agresseur une nuance de perplexité, quoiqu’il fulminât toujours. Elle ne comptait en aucun cas implorer la mansuétude d’un pirate, fût-il anciennement noble. Au roi d’Espagne même elle eût rechigné à le faire, et seulement s’il s’était agi d’intercéder pour un proche. Après tout, elle était qui elle était ; la devise de sa famille, n’était-ce pas : « SUM QUI SUM : NOMEN MEUS, ANIMA MEA, GENIUS MEUS » (« Je suis qui je suis : mon nom, mon âme, mon caractère. ») ? Ana faisait partie de ces êtres et de ces temps qui préféraient la mort à la bassesse. Ces temps sont perdus, et les êtres qui les habitaient avec eux ; aujourd’hui on les trouve vains et vaniteux, mais c’était cela, la grandeur.

La poigne était plus que ferme, l’assaut avait été plus que brusque, et Ana devait réprimer un léger halètement en parlant très doucement et à voix basse. Elle refusait de se présenter sous un jour de victime - ce qui était une résolution quelque peu risible, étant donnée sa situation. Après avoir déglutit douloureusement, elle ajouta, si bas que ce fut presque un murmure :

- Je ne vous crains pas et vous n’êtes pas miséricordieux, c’est entendu. Je crois que nous en savons assez l’un sur l’autre pour nous haïr en connaissance de cause : vous avez tout pouvoir sur moi, mais je ne supplierai, ni ne présenterai d’excuses, ni même ne baisserai les yeux. C’est ainsi…
Me tuerez-vous, Monsieur ?


Et disant cela, elle s’était imperceptiblement redressée, comme la dignité l’exigeait quand on prononce son ultime discours. Une petite voix corrosive en elle-même lui souffla qu’elle basculait dans l’emphase. Mais l’heure était plus à l’emphase qu’à l’ironie.
Il fallait mourir bien, pour l’amour de Dieu et de l’Espagne. Cependant, au fond d’Ana, juste aux côtés de l’ironie, se tenait une certitude qu’elle refusait d’écouter, de peur qu’elle se révélât être un faux espoir : Nogaret ne la tuerait pas. Chien qui aboie ne mord pas. S’il avait vraiment voulu, il l’eût fait. Au lieu de cela il perdait du temps et de l’autorité en palabres, qu’il prétendait lui-même inutiles. Il ne la tuerait pas.

Elle se sentait confortée dans son opinion, en dépit du mépris de l’argent et bien qu’il ait bravé ce que personne avant lui n’avait bravé. Car ce qui passait pour des actes d’exception n’émanait pas - ou plus - de la noblesse, mais de la pure vicissitude d’une âme trempée dans la cruauté. Si elle ne l’eût tant haï, la fille du duc d’Armerín eût sans doute éprouvé pour lui une sorte de compassion chrétienne.
Il ne serait jamais roi, c’était bien un chien. Un chien impuni menant sa meute sur la mer.

Mais, belle Ana, le chien en sa meute est roi.


Dernière édition par Ana-María de Armerín le Sam 29 Jan - 16:08, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: "[...] je pâlis à sa vue." (flashback)   "[...] je pâlis à sa vue."  (flashback) EmptyJeu 18 Nov - 1:34

    Quand il se précipita sur elle, tout d’abord, ce fut un silence de pensées, si total, si soudain, qu’il s’en trouva presque étourdi. Pour lui, qui avait toujours combattu les mouvements de passion, les colères et les emportements, si dangereux en son état, il vit cela comme une libération. Loin des regards des matelots, trop prompts à voir ce qui lui était devenu contingent, trop prompts à défendre leurs nécessaires, il était maître de lui-même – dès lors qu’il s’échappait. Et à présent qu’il la maintenait, comme proie gracile et offerte, il n’aurait su dire ce qui eût pu calmer cette colère, qui fut si longue à naître et qui lui semblait maintenant inextinguible. Saurait-il ressortir, calme et fat, en distingué et pernicieux capitaine ou décèlerait-on en son regard qu’il y avait là mensonge – sous tout point de vue ? Cela lui passa de par l’esprit, rapidement, confusément – et lui ne ressentit qu’une peur lointaine qu’il ne sut comprendre. C’est là qu’elle le dit, simplement. Eh bien faites. Et c’eût été fort simple.

    Mais il eût fallu se recomposer un visage, avec du sang sur les mains. Ces lâchetés-là n’étaient pourtant point de son fait, d’habitude. Il était parmi les premiers à trancher les sourires, à cueillir la peur comme elle passe, avec cette froideur aveugle qui tenait de l’abrutissement ; il avait gagné son statut de capitaine pour cette ferveur violente et creuse qu’il avait, lorsqu’il se ruait sur un vaisseau ennemi, arrachant aux possédants quelques bribes, quelques pleurs, et de l’or - De l'or avec du sang... de l'or et puis des femmes, Qu'on achète et qu'on paye avec cet or sanglant. Mais il y avait eu autre chose. Qui s’était cabré, avait coupé court, et qui désirait encore, ardemment, ce pieux sacrifice aux pieds de ses idoles déchues.

    Me tuerez-vous, Monsieur ? Il la regarda, presqu’égaré, tremblant encore d’une colère folle et muselé par une peur nouvelle … Et elle, qui demeurait digne, avec ces grands yeux noirs, et cette fierté qui ne pliait pas – ne plierait pas ? – comme une vivante insulte, une raillerie évidente, posée devant lui, cruauté si simple … Il eut envie de la gifler.

    - Vous ne méritez pas d’être martyre. Vous avez trop d’orgueil.

    Et il la lâcha, en détacha le regard. Passa la porte – comme frontière aussi fragile qu’étrange, entre mondes divers. C’est armé de son dégoût pour cette vision, passagère et honteuse, pour cette joute qu’il n’eût pas dû permettre, pour … Cette impression, soudaine et folle, de liberté féroce, qu’il reconstruit un masque, tout aussitôt, avec une facilité un peu triste. Louis de Nogaret avait un visage tout de honte et de ressentiments, recomposés, cousus ensemble. Il chercha la Khazi, encore sans doute à fouiller les cales et recenser les biens. Héla l’équipage, sans un regard pour ceux dont il scellait le sort et qui restaient là, pantins absurdes, sans signification. Entendit-elle, là-bas, dans l’ombre voilée de la cabine close, ces mots qu’il lançait, d’une voix traînante ?

    - Tuez les otages, nous avons mieux.

    Un murmure d’indignation monta, vaguement – c’était arracher au pirate sa future pitance, lui nier sa fortune. Nogaret reprit, sans élever la voix.

    - Tuez-les, vous dis-je. Inutile de nous encombrer plus que nécessaire. Vous aurez votre rançon et peut-être plus encore.

    Il se détourna, entra de nouveau dans la cabine, sous les regards interrogateurs et méfiants de son équipage. Il était mauvais, pourtant, d’attiser la curiosité des frères de la Côte – ils vous faisaient payer ce qui leur paraissait moins une fantaisie qu'une fourberie possible. Ce fut là sa première négligence : tout occupé à grimer sa voix et son cœur, il oublia, Nogaret, que le tout était d’être direct et simple, devant ce public-là. A cette femme demeuré là, il adressa un regard, plus calme, sans parvenir à l’indifférence. Et lui dit simplement, sans qu’on pût deviner quelle émotion l’étreignait, à présent :

    - Je ne vous vois pas de dame de compagnie ... Cela vous évitera une édifiante scène d’adieu car je vous veux seule. Rassemblez ce dont vous pouvez avoir besoin, nous vous emmenons.

    Et cela vous avait la douleur d'un renoncement.
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MessageSujet: Re: "[...] je pâlis à sa vue." (flashback)   "[...] je pâlis à sa vue."  (flashback) EmptyJeu 18 Nov - 2:25

Ana, à part soi, triompha. Il la lâcha ; il dit qu’elle avait trop d’orgueil pour ne pas avouer que toute sa noblesse, toute sa hauteur, toute sa personne enfin, l’incommodait. Finalement, il ne valait pas mieux que les autres, ceux des salons et des cours, ceux qui lui écrivaient des sonnets, ceux qui, en la voyant parcourir l’allée centrale de la cathédrale, murmuraient.
Le prince d’Azahar ne lui avait-il pas dit, le jour même de leurs fiançailles : « Doña Ana, permettez que je tremble de l’engagement que je prends. Je suis ou tout à fait triste ou tout à fait fou… Peut-on donc être malheureux en vous épousant ? Je dois être l’homme le plus envié d’Espagne, même le roi mon cousin a un peu de dépit que ce jour me couronne et non lui, mais… je suis à vos yeux si commun, si semblable à tous les autres, que vous ne m’aimerez pas plus qu’eux. Ne serais-je le fils de mon père, n’aurais-je pas le nom que je porte, vous m’eussiez ignoré, et en ce jour c’est moi qui aurait été l’envieux. » ?
Ô vaine plainte ! Qu’espérez-vous, en aimant de la sorte ? Qu’espère la fade lanterne entourée de nuit, quand elle regarde les étoiles ?
Et Nogaret, capitaine parmi les pirates, même en pleine fureur, reculait devant un regard brun de femme brune. Décevant.
Rassurant aussi, car sa vie serait conservée - et ceci, Ana ne le négligeait pas, quoiqu’elle eût encore quelques difficultés à reprendre ses esprits. La lucidité quant aux conséquences immédiates de la grâce de Nogaret était encore diffuse, et elle se laissait porter par un lent retour à elle-même.

Prétends ce que tu veux, pensa-t-elle en suivant le capitaine des yeux, un front noble fait plier l’homme sans condition, fût-il terreur sur la mer en tempête.

Il demeurait en elle cette utopie, si répandue dans l’aristocratie, selon laquelle la noblesse est affaire de nature, et qu’elle se perçoit incontestablement, comme la couleur des yeux ou l’accent de la région natale.

Nogaret sortit de la cabine, donna à son équipage un ordre qui eût dû la glacer, mais Ana était, malgré son triomphe silencieux, encore tremblante d’angoisse. L’anxiété l’avait engourdie, et le monstre qui l’instant d’avant avait failli lui broyer le cou ne la surprendrait plus sur le chapitre de la cruauté.
Elle fit un léger pas sur le côté, comme pour vérifier qu’elle vivait toujours, qu’elle avait toujours usage de son corps, qu’elle ne chancelait pas. Elle porta son chapelet à ses lèvres, embrassa la petite croix de nacre portant Christ d’argent.
Ô Crux ! Ô Croix, notre unique espérance !
Nogaret revint vers elle. Elle dissimula dans sa main moite cet allié dont le tintement à lui seul était une consolation dans le malheur le plus épais.

- Je ne vous vois pas de dame de compagnie ... Cela vous évitera une édifiante scène d’adieu car je vous veux seule. Rassemblez ce dont vous pouvez avoir besoin, nous vous emmenons.

- Je ne mets pas en scène mes affects, Monsieur, répondit sèchement Ana. Jamais je ne suis hors de moi.

Et disant cela, elle lui adressa un regard éloquent signifiant plus ou moins nettement : « pas comme d’autres ». Elle chassa la souvenir atroce de la robe bleue de Leonor - sa suivante depuis presque dix ans - tournoyant d'une manière sinistre, tombant sur le pont, traversée par une balle perdue, alors que le capitaine du Libertad les poussait toutes deux vers sa cabine. Puis, craignant un retour de l’ire incontrôlée de laquelle elle avait réchappé une fois - et encore, pour un motif très peu fiable tenant à la répugnance d’en faire une martyre, ce qui était un peu mince - Ana enchaîna :

- Tout ce que je possède se trouve dans une malle de taille moyenne, dans ma cabine. Je ne souhaite rien d’autre.

Puis, dans un soupir, lançant à Nogaret un regard presque doux :

- Monsieur, je suis portée à vous détester, vous et ce que vous représentez. Que cela soit dit.
Je suis cependant votre prisonnière, et à ce titre je me dois de vous appeler « capitaine ». Ayez l’amabilité de me nommer comme je vous le demandais : « Doña Ana ».
Je vous suis. Offrez-moi votre bras, je vous prie.
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Louis de Nogaret

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MessageSujet: Re: "[...] je pâlis à sa vue." (flashback)   "[...] je pâlis à sa vue."  (flashback) EmptyMer 24 Nov - 0:05

    Mais que lui importaient, au fond, sa hauteur et son mépris … ! Cette femme, au fond, ne lui était rien. Autant qu’il n’était rien pour elle. À faire celui qui s’était fatigué de tout, celui qui avait assez couru pour en revenir, las et sans plus d’illusions, n’avait-il pas prôné, par son exemple, édifiant et fier, une détestation circonstanciée de tous les grands ? Haine vivante, qui plus est fondée sur l’expérience, cela n’avait-il pas son prix ! Il avait, peaufinant l’apparence avec le temps, justifié ses ignorances, pour les grimer en révolte – point de convenances mais la hauteur douloureuse de ceux qui se sont choisi leur déchéance ... Et puis il avait vécu comme ça, perclus dans son mensonge, durant les dernières années de sa vie. Pas plus heureux qu’un autre ; pas plus malheureux non plus. Et puis voilà qu’il se voyait, pour la première fois, à travers les yeux d’une victime. Singulière expérience.

    Elle eût pu le railler, d’ailleurs. En son silence, il entendit presque tout ce qu’elle pouvait renfermer de mépris et de grandeur, dans une attitude qui tenait encore du défi. Mais … Il ne dit rien. Peut-être avait-il compris – un peu tard – qu’il ne servait de rien de s’insurger encore – et l’issue d’une ire nouvelle lui semblait aussi incertaine que périlleuse. Il enferma donc sous son inquiet contrôle ce qui vivait encore, et menaçait de sortir … À quoi bon ? Il laissa vivre un instant ce silence, qui sonnait comme une trêve, factice et nécessaire … jusqu’à ce qu’elle exigeât qu’il lui donnât le bras. Il eut un vague rictus, qui tenait de l’étonnement et du doute. Tut les railleries vaguement triomphantes qui lui venaient à l’esprit, la joie sincère et vile qu’il avait à la sentir malgré tout … Vulnérable.

    - Eh bien sortons, doña Ana. Il convient que je vous présente à vos hôtes.

    Et, simplement, sans qu’on pût déceler, pour tout dire, si c’était là un geste d’habitude ou une manière nouvelle, il lui présenta le bras. Point d’élégance et peut-être même quelque chose d’un peu grossier, dans ce geste exécuté, mais un détachement étrange, sans signification, avec la tristesse des désinvoltures … Nogaret attendit qu’elle ait posé sa main, qu’elle se soit approchée, insensiblement – froissements de mousseline. Ajouta alors, d’un ton plus dur, mais – si cela fut jamais possible – sans méchanceté :

    - Serait-il dessein plus fou que de souhaiter votre estime ? Votre haine vaut bien la haine de votre monde, laissez-moi la prendre comme une faveur.

    Il avait l’œil rivé sur la porte entrouverte d’où provenait la rumeur des prisonniers que l’on relâchait … N’eut-il pas même l’air pensif, presque philosophe, sous le concert des plaintes … ? Puis le silence se fit. Bruit des corps précipités dans l’abîme – combien de … Et sans lui laisser le temps, l’occasion de répondre, ou peut-être sans écouter plus que nécessaire, il poussa la porte. Amena, lentement, la belle captive devant une foule sanglante, aux yeux caves et aux sourires hagards. La longue et rude silhouette du Khazi surplombait la meute, qui souriait d’un drôle d’air, en son silence entendu … Pas un mot cependant n’eut la faveur de l’insulte. Le groupe eut un sursaut, un hoquet qui eût pu partir en rire. Mais qu’il était quelque chose, peut-être, sur le pont désert du Libertad, qui retenait les âmes … Lointain, entouré des fumées de la bataille, Klingsor demeurait, grande et maigre silhouette fatiguée perdue sur le pont de l’Amphitrite. Et les deux navires s’éloignaient, insidieusement, en leurs dérives …

    Ce fut le capitaine, alors, qui cria ses ordres. On restitua la malle ouverte peut-être - et les jupons semés aux quatre vents - on chargea les chaloupes, on les lança à la mer, chargées de butins, or et poudre, fatras de sordides et de dérisoires … Le pont soudainement désert laissait deviner le drame qui s’était joué, loin de ces deux regards – de ces histoires tragiques qui, le siècle courant à sa perte, avaient perdu jusqu’à leur morale et leur sens, pour confiner à l’anecdote. Qui sait … À la prochaine escale, Nogaret pourrait à son tour conter l’histoire, ivre d’importance, sur le ton d’une rouerie mondaine ou d’une querelle de rien. L’on murmurerait, à un coin de table, que c’est bien là encore un curieux capitaine – prenant trop de zèle à son métier de frère de la côte. Et puis cela passerait, parce que tout passe …

    Et les deux navires s’éloignaient, insidieusement, en leurs dérives …

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