Cap à l'Ouest !
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 Louis de Nogaret ~ La pudeur s'est enfuie des coeurs et s'est réfugiée sur les lèvres.

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Louis de Nogaret

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Louis de Nogaret

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MessageSujet: Louis de Nogaret ~ La pudeur s'est enfuie des coeurs et s'est réfugiée sur les lèvres.    Louis de Nogaret ~ La pudeur s'est enfuie des coeurs et s'est réfugiée sur les lèvres.  EmptyDim 1 Aoû - 22:12


    " J'ai découvert là-bas, je crois, comme tant d'autres
    Quelques réalités ... Peu importe lesquelles ... "

    [Byron, Don Juan]


I.

    Était-ce de ces jours d’ombre, où seuls les nuages vous sourient ? Quand la jeune femme de notre histoire sortit de sa bicoque brinquebalante, jupon poisseux dans le caniveau, elle se sentait d’humeur grise ... Elle s’était traînée, l’oiseau du paradis, jusqu’à la Taverne et s’était dissimulée dans l’ombre, cherchant à ne point entendre les éclats de rire et la musique des verres brisés. Point de confident en vue parmi les marins de passage - la vie est dure pour tout le monde, à Tortuga, qu’elle s’y fasse … ! Cependant … Ici chacun cherchait à raviver l’oubli. A coup d’alcool, on efface un instant la sévérité de la Fortune, les cruautés de la Mer, l’indifférence d'une femme et puis … Oh elle était au fond comme tout le monde : une fille de rien, tombée dans le caniveau, lâchée par la Mer, et qui rêvait, aux soirs de mélancolie, d’un regard neuf posé sur elle …

      - On en est tous là, n’est-ce pas … ?

    Elle se redressa, le cœur battant. En face d’elle un homme s’était assis – sans invitation ni demande. Étrangement immobile dans l’agitation du lieu, il avait déposé en silence son grand chapeau sur la table sale, comme un signe tardif de galanterie respectueuse. Il lui semblait familier et pourtant, elle ne pensait pas le connaître, et elle l’examina comme on examine un étranger. Le sabre au côté, le chapeau qui tenait au symbole, la crosse d’une arme qui fut belle autrefois mais que le temps avait rongée indiquaient un pirate des plus habitués. L’élégance de l’habit, les couleurs des tissus ravivées jusqu’à l’éclat, les minces dentelles – certes fatiguées et pas tout à fait blanches – aux poignets confinaient au gentilhomme en escale … Elle remarqua alors qu’il tenait du bout des doigts un verre à pied, point trop sale, où dormait une boisson rougeâtre … Elle balbutia, sourcils froncés – avec la défiance de ces femmes que l’on a trop souvent négligées :

      - Vous êtes ?

    Il partit d’un long rire.

      - Parfaitement : je suis. Quant à l’attribut, comprenez que je peine à vous répondre, Madame-Songes. Non seulement vous ne me connaissez pas, mais vous vous permettez de me demander qui je suis ? Mais enfin, il faut se connaître, pour oser ainsi poser telles questions ! La question n'est-elle pas trop indiscrète, quand on y pense ... ?

    La jeune femme haussa les épaules, visiblement agacée, avant de relever :

      - Vous savez parfaitement ce que ...

      - Bien sûr que je le sais. Peut-être même eussé-je l’envie de vous répondre pour de bon, sous l’encouragement de vos grands yeux tristes. Mais imaginez ! Seriez-vous une espionne à la solde de … De qui vous voulez – au fond, peu m’importe - que je serai marri, en à peine quelques mots.

    Il esquissa une révérence - pour autant qu’on pût esquisser une révérence en restant assis.

      - Mais si vous voulez savoir ce que l’on dit de moi, soit. Je suis Louis de Nogaret, duc d’Astringe, pour vous servir. Et vous donc, Madame-Songes … ?

    Elle ne répondit pas ou lança, comme on vous jette une peau de chagrin, un nom commun sans consonance ni beauté - ce qui était tout comme. Il sembla le prendre, délicatement, du bout des lèvres, le laissa mourir un instant dans le vacarme d’alentours, et puis … Le laissa retomber dans la fange, sans plus de considération.

      - Votre nom ne me sied guère, vous resterez Madame-Songes. Cela sera au fond tout aussi vrai, n’est-ce pas ?

    Et il lui sourit, blessant et fat dans son ironie pâle. Il devait avoir une trentaine d’années, tout au plus – sa peau avait bu un peu trop le soleil et la mer qui avaient laissé leur trace au coin des yeux. Son regard – vous ne sauriez dire, à la simple lueur des flammes, si dans leur ombre s’éteint le gris pâle des mers d’hiver ou le noir sans promesses des eaux nocturnes. Ses cheveux – clairs sans définition, entre châtain et blond - bouclaient légèrement sur les tempes, son jabot certes propre et non froissé sentait tout de même un peu la dentelle qui se fane … Et elle se rend compte, la demoiselle, que c’est là sans doute … Un peu trop facile. Défiante elle réplique :

      - Et que faites-vous de votre vie ici … ?

    Il se rengorge alors.

      - Moi, ma chère, je suis capitaine. Capitaine d’un navire. Nous avons accosté hier et les joyeux drilles que vous voyez là, l’air hâve et une bouteille à la main, à jouer tout leur soûl, sont pour la plupart de mes matelots !

    Curieuse, elle embrassa la salle du regard. Difficile au premier abord d’imaginer cet homme, élégant et factice, mener un équipage – de plein pied dans le nécessaire quand vous voudriez vous soucier d’intimes contingences. Elle le jaugea, sceptique …

      - Vraiment … Je suppose que c’est une vocation, à vous voir …

    Vous, si fier, si arrogant? Il l’arrêta d’un geste – son regard se teinta d’amertume.

      - Peut-être pas celle que vous croyez. Suivez-moi donc, si le cœur vous en dit : je vais vous montrer.

    Elle ne vit pas sans doute toutes les menaces dormantes en son sourire.



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MessageSujet: Re: Louis de Nogaret ~ La pudeur s'est enfuie des coeurs et s'est réfugiée sur les lèvres.    Louis de Nogaret ~ La pudeur s'est enfuie des coeurs et s'est réfugiée sur les lèvres.  EmptyLun 2 Aoû - 9:40


    II.

    L’Amphitrite gisait à quai, fatiguée par le voyage, avec la grâce d’une nymphe alanguie. Ses formes pleines et rondes, le gracieux et compliqué agencement de ses voiles lui donnaient l’allure touchante d’une femme qui s’abandonne, après l’amour … Louis de Nogaret s’effaça, sans un mot, pour la laisser s’approcher et contempler ce qui eût pu, en d'autres temps, être une rivale.

      - Bel objet de passion, n’est-ce pas ? Vous êtes là devant l’Amphitrite. Oh, elle a vécu, j’en conviens – montez-vous ? – mais … Peut-on reprocher à une femme d’avoir trop aimé ? Si je venais à être pompeux, je dirais toutes les belles choses, rêvasseries et aventures, qui sont nées de son noble commerce avec le dieu des Mers … Mais ! J’ai la naïve impression que ce n’est pas là ce qui vous intéresse.

    Ne disant rien – elle se sentait si peu chez elle, tout d’un coup ! – elle se laissa guider, frissonna quand il lui prit délicatement mais fermement le bras, de peur qu’elle ne tombât – vertiges des eaux sombres et dormantes, là, en bas ... Bientôt, le pont désert résonna sous leurs pas. Un vieil homme campé là en sentinelle tourna la tête vers eux et salua son capitaine, selon une formule d’habitude, ne semblant pas la voir. Louis de Nogaret répondit distraitement à son salut, poussa la porte de sa cabine, l’y entraîna … Referma derrière lui.

      - Veuillez ne pas vous formaliser de son impolitesse. Ce pauvre homme, aveugle aux belles choses, n’aura sans doute pas su vous voir – et pourtant dieu sait que vous êtes précieuse !

    Dans un vase blanc, apportées du matin même, se mouraient trois grandes fleurs tropicales. Il en effleura une, tout en la dévisageant, et reprit aussitôt :

      - Tout à l’heure, vous parliez de vocation. Quand j’y songe, vous posez d’étranges questions ... Du genre à vous donner des réponses qui n’en sont pas – bien confortable je vous l’accorde, ou du genre à vous entraîner, bien trop loin face aux indiscrets et aux curieux. Mais pourquoi voudriez-vous savoir … ?

    Contre toute attente, elle soutint son regard :

      - Vous ne savez pas mentir à une femme dès lors qu’elle vous plaît, n’est-ce pas ?

    Il se mit à arpenter la cabine, mains nouées dans le dos, air joué-désinvolte. Elle l’observa en silence, attendant qu’il daignât répondre. C’était toujours le même homme que celui rencontré dans la taverne. Le nom du capitaine, la cabine pleine d’effets accessoires, de décorations hâtives lui donnaient un peu de clinquant sans apporter de vérité. Elle s’y trouvait mal à l’aise, la jeune femme, avec ses idées simples et ses connaissances brutes mais elle sentait malgré tout quelque chose – peut-être dans le tabouret abandonné là, prêt du grand fauteuil du capitaine, peut-être dans cette fascination-même pour l’éphémère et le fragile, peut-être enfin dans les objets qui s’éparpillaient, ça et là … - quelque chose qui lui était familier. Cependant il se saisit de son regard qui vagabondait, sans prévenance, sur les restes et les vestiges d'un …

      - En effet, Madame - c'est bien pour cela que leur présence sur mon navire est si rare. Mais pensez bien que je ne me prête pas à la légère au péril de leurs vérités. Et venez-en au fait, je vous prie.

    Avec application, il saisit le dossier du grand fauteuil, le tira à lui – grincement sec des pieds contre le parquet – et l’invita d’un geste à prendre place. Était-ce quelque trouble qu’il dissimulait alors derrière cette ironie franche et grave … ? Elle hésita un instant, mais s’exécuta.

      - Je n’ai jamais encore parlé sérieusement à un pirate. Parler … Ce n’est pas en général ce que l'on me demande, voyez ?

    Silence. Nogaret évoluait toujours. Son œil, à la lueur des chandelles, allumées à mesure, brûlait à présent sous ses ternes couleurs, volant aux pierres et aux flammes leurs étranges reflets. Il la laissa reprendre.

      - Je … Je n’ai peut-être – pardonnez-moi si cela vous semble ridicule ou offensant – jamais compris pourquoi, la piraterie … Pourquoi avoir choisi délibérément ce monde – vous voyez bien, comme moi, combien il est laid, n’est-ce pas ! – alors que vous aviez le choix … Pourquoi avoir voulu mener cette vie, sans futur ni certitude, à rouler entre des draps poisseux, sur le pont de navires toujours prêts à se briser … Pour finir épuisé avant l’âge, à s’adonner aux vices habituels – ceux qu’ils pratiquent tous pour oublier leur pauvre existence … Enfin pardonnez-moi mais … Pourquoi vous ? Vous qui semblez si loin de tout cela quand on vous regarde …

    Tandis qu’elle égrenait les mots, maladroite et superbe, il avait cessé son manège et restait, immobile, à l’entendre, visage impassible et masque point encore défait. Quand il lui répondit, sa voix était devenue plus froide, son ton plus blessant.

      - Mais pour la même raison que tout le monde, Madame. Qui croyez-vous avoir devant vous ?

    Sans cérémonie aucune, il tira à lui le simple tabouret qui traînait là – comme si ce geste lui avait été naturel, devenu soudain un étrange valet au solde de sa maîtresse. Quand il parla de nouveau, sa voix avait repris son accent léger, qui semblait vouloir dire que rien ici n’avait au fond d’importance :

      - Je consens cependant, étant d’humeur bavarde, à vous exposer mon cas – avec toute la complaisance ci-jointe. Peut-être, en sachant ce que j’étais, serez-vous plus à même de comprendre ce que je suis devenu ?

    Un souffle de vent s’engouffra alors par une lucarne ouverte et le chapeau, déposé sur le bord de la table comme en offrande tomba à ses pieds. Il le ramassa sans un regard - comme s’il ne lui était rien ! - et commença.



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MessageSujet: Re: Louis de Nogaret ~ La pudeur s'est enfuie des coeurs et s'est réfugiée sur les lèvres.    Louis de Nogaret ~ La pudeur s'est enfuie des coeurs et s'est réfugiée sur les lèvres.  EmptyLun 2 Aoû - 11:59


    III.


      « Mon histoire est somme toute bien simple. Je vous ai donné un nom : Louis de Nogaret. Le nom d’une terre – l’Astringe est, pour votre information, une petite terre de Bretagne, pas très bonne au demeurant, et qui n’ouvre que très peu sur la mer. Cette propriété, je l’ai plus ou moins perdue – peu vous importe de savoir comment. Pour un homme de mon rang, demeurait la possibilité d’entrer dans les ordres – vous connaissez bien sûr tous ces ecclésiastiques qui n’en sont pas. J’ai préféré devenir corsaire au service du roi de France – ai sillonné les mers sur une goélette nommée Le Tartuffe et j’ai pillé – ou fait piller si vous préférez – une belle somme de navires anglais, en bonne et due forme … Mais la guerre cessa bien vite – une défaite, bien entendu – et cela n’arrangeait pas mes timides affaires … Alors … »

    Nogaret eut un geste évasif.

      - Classique histoire, n’est-ce pas ?

    Elle ne sut dissimuler un air déçu et, le voyant, il partit d’un long rire.

      - Mais enfin belle enfant, qu’attendiez-vous de moi ?

      - La Vérité.

    Grimace méprisante.

      - La Vérité ! Est-ce quelque chose qui existe, en ce monde ? Mais soit, puisque vous insistez. Louis-Réné Caradeuc de Nogaret existe, je vous en réponds. C’est un gentilhomme breton qui, ruiné par son goût du jeu et sa confiance aveugle, a fui la nécessité en entrant dans les ordres. Louis de Nogaret existe. Mais ce n’est pas moi.

    Il parlait vite, avec emphase, comme si cela lui était une fierté, tout d’un coup, de révéler les failles de l’histoire officielle, et de dévoiler, sous la chair pleine et les beaux draps, le squelette blafard de la vérité.

      - Non, moi je ne suis que Yann Cléguérec, fils de modeste paysan, pêcheur à ses heures. Mon père m’envoyait souvent porter les poissons à la cuisine, et j’ai joué, durant mon enfance, avec ce garçon qui avait mon âge … Son père, trop occupé à gérer ses biens et à s’ennuyer ferme, ne voyait pas d’inconvénients à ce que son fils, pourtant si frêle, courût à en perdre haleine auprès d’un fils de pêcheur, qui a passé sa vie à vivre au grand air … Ma vie à moi ? Mais c’est presque la même, avec moins de chance et moins de sublime. Lui devait suivre les desseins de son père, et pour moi c’était la même chose. Je devais rester ce gamin sans histoire, qui à son tour allait se brûler les yeux à contempler la mer, et reviendrait de la pêche, la peau burinée par le soleil, les jambes tremblantes de n’avoir pas assez couru, ramener quelques vivres pour sa subsistance ... Et recommencer, inexorablement, mécanique mal apprise … !

    Il s’arrêta un instant et, dans le silence, les épaules voûtées sous le poids du souvenir, il semblait plus vieux, et presque épuisé. Ses mots avaient l’accent de cette rancœur que l’on destine à ceux qui, sans s’en douter, viennent ruiner nos petits bonheurs en découvrant leurs incohérences.

      - J’ai connu Le Tartuffe, cependant. Je quittai mon misérable esquif de pêcheur pour le banditisme militaire … La guerre s’acheva et puis … Je fis mon choix … Vous voyez, cela reste une classique histoire.

    Il se leva à nouveau, et elle le vit, grand et las, faire les cent pas, de sa démarche d’oiseau nerveux – les pans de son manteau tremblant comme des ailes brisées.

      - Pourquoi alors l’une devrait-elle être plus vraie que l’autre ? Qu’importe que j’aie été l'un maintenant que je suis l'autre ?

    Et d’englober d’un geste les étendues d’eau où dormaient les coques mortes, au dehors.

      - J’ai choisi ce monde, Madame, pour la même raison que vous sans doute, et que tous ces pauvres diables qui se saoulent à la taverne, dès qu’ils ont les pieds sur terre. Je suis pirate non pour les trésors, mais pour le mensonge d’un nom, pour l’histoire fictive que j’ai pu me vivre, dans ma cabine, pour … La possibilité, simplement, d’échapper à ce qu’on me destinait pour devenir un autre. Qui vous dit qu'il n'est pas moins vrai que celui que j’ai laissé derrière moi ?

      - Et Louis alors, s’il existe … Le sait-il ? Que lui reste-t-il à lui ?

    Elle lui lança un regard de défi où brillaient deux larmes en devenir.

      - Eh bien ! Il eût été plus exact de dire que Louis a existé. Ne me regardez pas comme ça, je n’ai rien fait. Il a toujours été de constitution fragile – oh je n’ai pas cette finesse des traits et des goûts qu’il avait, moi … Moi j’aime les fruits bien mûrs et les parfums capiteux, je soutiens sans effort le vent du large et les vagues de tempête. Louis … Il est mort poitrinaire – cure obtenue ou non, d’ailleurs, je l’ignore.

      - Et là-bas sait-on que …

      - Évidemment. Sur le continent, on sait pertinemment que je navigue sous un nom d'emprunt. Mais les nouvelles circulent selon d’autres règles, ici, et j’ai pour dessein de maintenir l’illusion, si fragile soit-elle. Savez-vous que la plupart de mes marins s'en doutent ... ? Mais quelle importance si par ce que je suis, je les convaincs encore ! Et puis il m’arrive aussi - de plus en plus - de me rebaptiser selon les circonstances, et par fantaisie. Je l’ai déjà fait une fois, pourquoi m’arrêter alors ? Par exemple, que diriez-vous, en remplacement, de Jean de Fréneuse ou de Raoul de Vallonges … ? D'autant plus que j'ai tout à y gagner : les signes de noblesses – fussent-ils de simples artifices – cela plaît aux femmes.

      - Oh, ne raillez-pas !

      - Je ne raille pas, je constate. Mais pour conseil, laissez donc l’histoire de ce pauvre Yann loin des rivages – ce jeune homme s’est noyé dans ses rêves de sublime, ils étaient trop grands pour lui. J’ai arrimé son corps de tous les idéaux trop lourds à porter dans notre métier, de toute la petite morale médiocre des gens simples, et de son petit passé pas bien lourd … Eh bien croyez-le ou non, Madame, il a coulé à pic.

    Il marqua une pause, silence orchestré venu ponctuer son discours. Et, se tournant vers elle, il la regarda, semblant soudain la voir. Et d’un ton qui ne supportait pas réplique :

      - Mais vous, combien d’illusions de ce genre trainez-vous encore dans vos jupons … ?

    Elle baissa les yeux en silence. Cet homme qui transparaissait sous la légèreté feinte et la violence latente des propos, sous la désinvolture élégante qui ornait ses gestes, cet homme qui se souvenait, par la force des choses, de celui dont il avait usurpé le nom … Cet homme, elle le connaissait. Elle s'en rendait compte, tout d'un coup : c’était comme si elle avait passé sa jeunesse auprès de lui, pendue à son bras comme une fiancée insistante, et qu’après bien des années, alors que la vie les avait traînés de part et d’autres, que la Mer les avait comme engloutis puis recrachés, comme … Comme s’ils se retrouvaient, vieux et changés, à contempler chacun son souvenir, déformé par les eaux.

      - Je … Je ne croyais pas vous connaître, mais …

    Il lui tendit alors la main, l'aidant à se lever. Il était en face d’elle – inquiétant, dans cet étrange assemblage entre son regard perdu et le sourire d’un autre. Et Louis de Nogaret la contemplait, cherchant sur son visage fatigué les débris de son vieux désir, murmurant, comme à lui-même :

      - Moi non plus, belle Dame. Lointain est temps où je m’enivrais encore de vos baisers.

    Puis, d’une main, il cueillit délicatement son visage comme fleur fragile et il l’embrassa, tel l’amant des premiers jours … La flamme des chandelles vacilla un instant – elle entendit à peine un cliquetis de métal, de sinistre augure … Un éclair ! et puis la nuit. Elle tomba sans un bruit – à peine le froissement de la robe sous une dernière étreinte … Et ce fut tout.


Dernière édition par Louis de Nogaret le Lun 28 Mar - 19:02, édité 3 fois
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MessageSujet: Re: Louis de Nogaret ~ La pudeur s'est enfuie des coeurs et s'est réfugiée sur les lèvres.    Louis de Nogaret ~ La pudeur s'est enfuie des coeurs et s'est réfugiée sur les lèvres.  EmptyLun 2 Aoû - 13:02

    Épilogue.

    Louis caressait en silence la crosse du vieux pistolet posé sur la table – quelques ombres de poudre répandue sur les cartes et parchemins. On frappa à la porte : c’était l’ermite.

      - Capitaine, à qui parlez-vous ?

    Sans attendre de réponse, les yeux clairs du vieux marin scrutaient déjà la cabine de long en large, sans s’arrêter un instant. Nogaret leva la tête et, lui offrant un sourire désinvolte, répliqua d’une voix tranquille et sans émotion :

      - A personne, Klingsor. Je pensais tout haut, simplement.

    Un hochement de tête et le vieil homme, le seul resté fidèle à l’Amphitrite en cette nuit de beuverie se retirait déjà, marmonnant entre ses dents quelque latinisme attendu - Testis unus, testis nullus, quand Louis ajouta :

      - Va donc te reposer. Trois heures sur terre, vois-tu et déjà l'Amphitrite me manque. Autant te laisser rejoindre les autres, où qu’ils soient ... j’ai à lui parler.

    L’ermite hocha la tête, remercia sans doute, et ponctua d’un « Qui nescit dissimulare, nescit regnare » ce qui devait être la dernière fantaisie de son capitaine. Grand seigneur, Louis le laissa disparaître, sans ajouter un mot … Puis se rendit sur le pont où il fit quelques pas, seul et silencieux, un drôle de soupir au cœur. Et pourtant … ! Point de fumée blanche dans l’enceinte de la cabine, point d’odeur de poudre venue parfumer son manteau ; point de corps à offrir à la Mer ou à jeter aux Corbeaux.

    Louis de Nogaret n’avait rien tué, ce soir, sinon la dernière de ses illusions.




" J'ai vogué, je vogue encore contre le vent,
Mais pour les astres, mon téléscope est obscur :
Du moins ai-je évité le rivage commun.
Laissant la terre au loin, je voudrais parcourir
L'Océan d'éternité ; le rugissement
Des vagues n'a point découragé mon esquif
Frêle et léger mais qui peut encore flotter
Là où plus d'un navire a coulé corps et biens."


[Byron, Don Juan, Chant X, 4.]



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MessageSujet: Re: Louis de Nogaret ~ La pudeur s'est enfuie des coeurs et s'est réfugiée sur les lèvres.    Louis de Nogaret ~ La pudeur s'est enfuie des coeurs et s'est réfugiée sur les lèvres.  EmptyLun 2 Aoû - 14:14

Louis de Nogaret ~ La pudeur s'est enfuie des coeurs et s'est réfugiée sur les lèvres.  Sanstitre1zqu
Pour plus de commodité ...
    Commençons par ton nom... On m'a appelé Yann Cléguérec, et on m'appelle aujourd'hui M. Louis de Nogaret. Ou Capitaine, évidemment.
    T'es pas un peu jeune pour être pirate ? 29 ans me semble pourtant un bel âge ...
    Et si t'étais pas libre comme l'air, tu s'rais chez qui ? Sur ma côté bretonne, à regarder la Mer.
    Et tu fais quoi de ta vie ? Je navigue en tant que Capitaine sur la belle et ronde Amphitrite, ignorant.
    Et pirate, c'est une vocation ou t'as plus un rond ? Mais une vocation, évidemment. J'en réponds en troisième partie de récit.


Louis de Nogaret ~ La pudeur s'est enfuie des coeurs et s'est réfugiée sur les lèvres.  Sanstitre2dbg
    Et t'es plutôt gringalet ou baraqué ? Cf. essentiellement la première partie.
    T'es pas du genre à tenir tête au capitaine, au moins ? Cf. deuxième et troisième parties.
    T'aurais pas une histoire à nous raconter ? Cf. troisième partie.


Louis de Nogaret ~ La pudeur s'est enfuie des coeurs et s'est réfugiée sur les lèvres.  Sanstitre3su
    Ton prénom/pseudo : Nibelheim ou Albertine.
    Ton âge : 21 ans encore.
    Comment as-tu découvert le forum ? Par Tangerine. Puis j'ai contribué à sa mise en place.
    Ta première impression : Ta fiche terminée, au boulot ! Il reste tant à faire.
    Le code du règlement : [Validé par moi-même, peut-être ? ♥]


Dernière édition par Louis de Nogaret le Mer 4 Aoû - 1:52, édité 1 fois
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Of Course, Validé par toi-même, Capitaine de Nogaret !
Inutile : Bienvenue à bord ! C:
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MessageSujet: Re: Louis de Nogaret ~ La pudeur s'est enfuie des coeurs et s'est réfugiée sur les lèvres.    Louis de Nogaret ~ La pudeur s'est enfuie des coeurs et s'est réfugiée sur les lèvres.  Empty

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